24 avril 1915 : Le génocide arménien.
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24 avril 1915 : Le génocide arménien.
24 avril 1915 : Le génocide arménien.
Le samedi 24 avril 1915, à Istamboul, capitale de l'empire ottoman, 600 notables arméniens sont assassinés sur ordre du gouvernement. C'est le début d'un génocide, le premier du XXe siècle. Il va faire environ 1,2 million de victimes dans la population arménienne de l'empire turc.
Un empire composite.
Aux premiers siècles de son existence, l'empire ottoman comptait une majorité de chrétiens (Slaves, Grecs, Arméniens, Caucasiens, Assyriens....). Ils jouaient un grand rôle dans le commerce et l'administration, et leur influence s'étendait au Sérail, le palais du sultan. Ces «protégés» (dhimmis en arabe coranique) n'en étaient pas moins soumis à de lourds impôts et avaient l'interdiction de porter les armes.
Les premiers sultans, souvent nés d'une mère chrétienne - esclave du harem de leur père -, témoignaient d'une relative bienveillance à l'égard des Grecs orthodoxes et des Arméniens monophysites.
Ces derniers étaient surtout établis dans l'ancien royaume d'Arménie, au pied du Caucase, premier royaume de l'Histoire à s'être rallié au christianisme ! Ils étaient majoritaires aussi en Cilicie, une province du sud de l'Asie mineure que l'on appelait parfois «Petite Arménie». On en retrouvait aussi à Istamboul ainsi que dans les villes libanaises et à Jérusalem.
L'empire ottoman comptait environ 2 millions d'Arméniens à la fin du XIXe siècle sur une population totale de 36 millions d'habitants.
Ébauche de génocide.
Dans les années qui précèdent la Grande Guerre, la décadence de l'empire ottoman s'accélère après une tentative de modernisation par le haut dans la période du Tanzimat, entre 1839 et 1876. Le sultan Abdul-Hamid II n'hésite pas à attiser sans vergogne les haines religieuses pour consolider son pouvoir (les derniers tsars de Russie font de même dans leur empire).
Entre 1894 et 1896, comme les Arméniens réclament des réformes et une modernisation des institutions, le sultan en fait massacrer 200.000 à 250.000 avec le concours diligent des montagnards kurdes.
Un million d'Arméniens sont dépouillés de leurs biens et quelques milliers convertis de force. Des centaines d'églises sont brûlées ou transformées en mosquées... Rien qu'en juin 1896, dans la région de Van, au coeur de l'Arménie historique, pas moins de 350 villages sont rayés de la carte.
Ces massacres planifiés ont un avant-goût de génocide. L'Américain George Hepworth enquêtant sur les lieux deux ans après les faits, écrit : «Pendant mes déplacements en Arménie, j'ai été de jour en jour plus profondément convaincu que l'avenir des Arméniens est excessivement sombre. Il se peut que la main des Turcs soit retenue dans la crainte de l'Europe mais je suis sûr que leur objectif est l'extermination et qu'ils poursuivront cet objectif jusqu'au bout si l'occasion s'en présente. Ils sont déjà tout près de l'avoir atteint» (*).
Les Occidentaux se contentent de plates protestations mais le crime ne profite guère au sultan. Celui-ci tente de jouer la carte de chef spirituel de tous les musulmans en sa qualité de calife. Il fait construire le chemin de fer du Hedjaz pour faciliter les pèlerinages à La Mecque. Il se rapproche aussi de l'Allemagne de Guillaume II. Mais il est déposé en 1909 par le mouvement nationaliste des «Jeunes-Turcs» qui lui reprochent de livrer l'empire aux appétits étrangers et de montrer trop de complaisance pour les Arabes.
Les «Jeunes-Turcs» veulent se démarquer des «Vieux-Turcs» qui, au début du XIXe siècle, s'opposèrent à la modernisation de l'empire.
Ils installent au pouvoir un Comité Union et Progrès (CUP, en turc Ittihad) dirigé par Enver pacha (27 ans), sous l'égide d'un nouveau sultan, Mohamed V.
Ils donnent au pays une Constitution... ainsi qu'une devise empruntée à la France: «Liberté, Égalité, Fraternité».
Ils laissent espérer un sort meilleur aux minorités de l'empire, sur des bases laïques. Mais leur idéologie emprunte au nationalisme le plus étroit.
Confrontés à un lent démembrement de l'empire multinational et à sa transformation en puissance asiatique (l'empire ne possède plus en Europe que la région d'Istamboul), ils se font les champions du «touranisme». Cette idéologie prône l'union de tous les peuples de langue turque ou assimilée, de la mer Égée aux confins de la Chine (Anatolie, Azerbaïdjan, Kazakhstan, etc) (*).
Dès 1909, soucieux de créer une nation turque racialement homogène, les Jeunes-Turcs multiplient les exactions contre les Arméniens d'Asie mineure. On compte ainsi 20.000 à 30.000 morts à Adana le 1er avril 1909...
Les Jeunes-Turcs lancent des campagnes de boycott des commerces tenus par des Grecs, des Juifs ou des Arméniens. Ils réécrivent l'Histoire en occultant la période ottomane, trop peu turque à leur goût, et en rattachant la race turque aux Mongols de Gengis Khan, aux Huns d'Attila, voire aux Hittites de la haute Antiquité. Ce nationalisme outrancier ne les empêche pas de perdre les deux guerres balkaniques de 1912 et 1913.
La Turquie dans la guerre de 1914-1918.
Le 8 février 1914, la Russie impose au gouvernement turc une commission internationale destinée à veiller aux bonnes relations entre les populations ottomanes. Les Jeunes-Turcs ravalent leur humiliation mais lorsque la Grande Guerre éclate, en août de la même année, ils poussent ils poussent le sultan Mahomet V à entrer dans le conflit, aux côtés des Puissances centrales (Allemagne et Autriche), contre la Russie et les Occidentaux.
Le sultan déclare la guerre le 1er novembre 1914. Les Turcs tentent de soulever en leur faveur les Arméniens de Russie. Mal leur en prend... Bien qu'en nombre supérieur, ils sont défaits par les Russes à Sarikamish le 29 décembre 1914.
L'empire ottoman est envahi. L'armée turque perd 100.000 hommes. Elle bat en retraite et, exaspérée, multiplie les violences à l'égard des Arméniens dans les territoires qu'elle traverse. Les Russes, à leur tour, retournent en leur faveur les Arméniens de Turquie. Le 7 avril 1915, la ville de Van, à l'est de la Turquie, se soulève et proclame un gouvernement arménien autonome.
Dans le même temps, à l'initiative du Lord britannique de l'Amirauté, un certain Winston Churchill, les Français et les Britanniques préparent un débarquement dans le détroit des Dardanelles pour se saisir d'Istamboul.
Le génocide.
Les Jeunes-Turcs profitent de l'occasion pour accomplir leur dessein d'éliminer la totalité des Arméniens de l'Asie mineure, qu'ils considèrent comme le foyer national exclusif du peuple turc. Ils procèdent avec méthode et brutalité.
L'un de leurs chefs, le ministre de l'Intérieur Talaat Pacha, ordonne l'assassinat des Arméniens d'Istamboul puis des Arméniens de l'armée, bien que ces derniers aient fait la preuve de leur loyauté (on a ainsi compté moins de désertions chez les soldats arméniens que chez leurs homologues turcs). C'est ensuite le tour des nombreuses populations arméniennes des sept provinces orientales (les Arméniens des provinces arabophones du Liban et de Jérusalem ne seront jamais inquiétés).
Voici le texte d'un télégramme transmis par le ministre à la direction des Jeunes-Turcs de la préfecture d'Alep : «Le gouvernement a décidé de détruire tous les Arméniens résidant en Turquie. Il faut mettre fin à leur existence, aussi criminelles que soient les mesures à prendre. Il ne faut tenir compte ni de l'âge, ni du sexe. Les scrupules de conscience n'ont pas leur place ici».
Le gouvernement destitue les fonctionnaires locaux qui font preuve de tiédeur, ainsi que le rapporte l'historien britannique Arnold Toynbee, qui enquêta sur place.
Dans un premier temps, les agents du gouvernement rassemblent les hommes de moins de 20 ans et de plus de 45 ans et les éloignent de leur région natale pour leur faire accomplir des travaux épuisants. Beaucoup d'hommes sont aussi tués sur place.
La «Loi provisoire de déportation» du 27 mai 1915 fixe le cadre réglementaire de la déportation des survivants ainsi que de la spoliation des victimes.
Dans les villages qui ont été quelques semaines plus tôt privés de leurs notables et de leurs jeunes gens, militaires et gendarmes ont toute facilité à réunir les femmes et les enfants. Ces malheureux sont réunis en longs convois et déportés vers le sud, vers Alep, une ville de la Syrie ottomane.
Les marches se déroulent sous le soleil de l'été, dans des conditions épouvantables, sans vivres et sans eau, sous la menace constante des montagnards kurdes, trop heureux de pouvoir librement exterminer leurs voisins et rivaux. Elles débouchent en général sur une mort rapide.
Survivent toutefois beaucoup de jeunes femmes ou d'adolescentes (parmi les plus jolies) ; celles-là sont enlevées par les Turcs ou les Kurdes pour être vendues comme esclaves ou converties de force à l'islam et mariées à des familiers (en ce début du XXIe siècle, beaucoup de Turcs sont ainsi troublés de découvrir qu'ils descendent ainsi d'une jeune chrétienne d'Arménie arrachée à sa famille et à sa culture).
En septembre, après les habitants des provinces orientales, vient le tour d'autres Arméniens de l'empire. Ceux-là sont convoyés vers Alep dans des wagons à bestiaux puis transférés dans des camps de concentration en zone désertique où ils ne tardent pas à succomber à leur tour.
Au total disparaissent pendant l'été 1915 les deux tiers de la population arménienne sous souveraineté ottomane.
Les Européens et le génocide.
En Occident, les informations sur le génocide émeuvent l'opinion mais le sultan se justifie en arguant de la nécessité de déplacer les populations pour des raisons militaires !
Le gouvernement allemand, allié de la Turquie, censure les informations sur le génocide. L'Allemagne entretient en Turquie, pendant le conflit, une mission militaire très importante (jusqu'à 12.000 hommes). Et après la guerre, c'est en Allemagne que se réfugient les responsables du génocide, y compris Talaat Pacha.
Ce dernier est assassiné à Berlin le 16 mars 1921 par un jeune Arménien. Mais l'assassin sera acquitté par la justice allemande, preuve si besoin est d'une réelle démocratisation de la vie allemande sous le régime républicain issu de Weimar !
Le traité de Sèvres signé le 10 août 1920 entre les Alliés et l'empire ottoman prévoit la mise en jugement des responsables du génocide. Mais le sursaut nationaliste de Moustafa Kémal bouscule ces bonnes résolutions et entraîne une amnistie générale, le 31 mars 1923.
Les nazis tireront les leçons du premier génocide de l'Histoire et de cette occasion perdue de juger les coupables... «Qui se souvient encore de l'extermination des Arméniens ?» aurait lancé Hitler en 1939, à la veille de massacrer les handicapés de son pays (l'extermination des Juifs viendra deux ans plus tard).
À la vérité, c'est seulement dans les années 1980 que l'opinion publique occidentale a retrouvé le souvenir de ce génocide, à l'investigation de l'Église arménienne et des jeunes militants de la troisième génération, dont certains n'ont pas hésité à recourir à des attentats contre les intérêts turcs.
Les historiens multiplient depuis lors les enquêtes et les témoignages sur ce génocide, le premier du siècle. Le cinéaste français d'origine arménienne Henri Verneuil a évoqué dans un film émouvant, Mayrig, en 1991, l'histoire de sa famille qui a vécu ce drame dans sa chair. On trouvera par ailleurs dans Le siècle des génocides (Bernard Bruneteau, Armand Colin, 2004) une très claire et très complète enquête sur ce génocide (et les autres), avec sources et références à l'appui.
André Larané.
Commentaire : les Turcs et le génocide.
Les «Jeunes Turcs» sont à l'origine du sentiment national turc. Ils ont permis l'émergence d'une grande nation. Mais ils sont aussi responsables de l'extermination de la plus grande partie des chrétiens arméniens d'Asie mineure en 1915.
En 1923, le général Moustafa Kémal a parachevé la «turcisation» de la Turquie en expulsant les Grecs qui y vivaient depuis la haute Antiquité. Istamboul, ville aux deux-tiers chrétienne en 1914, est devenue exclusivement turque et musulmane après cette date. Depuis lors, les gouvernements turcs s'obstinent à ne pas vouloir reconnaître le génocide arménien. C'est le cas aussi de la presque totalité des citoyens de ce pays. Qu'ils appartiennent à la minorité laïque ou à la majorité islamiste, ils ne veulent rien renier du nationalisme et de l'idéologie raciale de Moustafa Kémal et des Jeunes Turcs.
Les Turcs les plus accommodants attribuent la responsabilité des massacres à un régime disparu, le sultanat, ou aux aléas de la guerre. Ils font aussi valoir que ces massacres ne visaient pas à l'extermination du peuple arménien et en donnent pour preuve que les Arméniens de Jérusalem et du Liban n'ont pas été affectés. Ils relativisent le drame et le comparent par exemple aux méfaits de la guerre d'Algérie. Enfin, la plupart des Turcs considèrent -sans doute à tort- que leur nation s'affaiblirait en reconnaissant la réalité du génocide.
La France et le génocide arménien
De nombreux Arméniens rescapés des massacres de 1915 ont débarqué à Marseille et se sont établis en France. Leurs descendants sont aujourd'hui 300.000 à 500.000.
Dans le dessein de gagner leur vote à l'élection présidentielle de 2002, la droite et la gauche parlementaires ont voté à l'unanimité une loi réduite à un article : «La République française reconnaît le génocide arménien». Il en est résulté une crise avec la Turquie, déjà agacée par l'opposition de la France à son entrée dans l'Union européenne.
En 2006, peu avant l'élection présidentielle suivante, le parti socialiste a fait de la surenchère en tentant de pénaliser la «négation» du génocide. Il y a échoué et son texte a été prestement enterré par le nouveau président, soucieux de restaurer de bonnes relations avec la Turquie.
Mais à l'avant-veille de l'élection présidentielle de 2012, Nicolas Sarkozy lui-même a relancé le projet pour retrouver la faveur des électeurs d'origine arménienne. C'est ainsi que le 22 décembre 2011, une députée UMP a déposé une proposition de loi qui punit d’un an d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende la négation, voire la «minimisation», d'un génocide reconnu par la République française.
Les Turcs ont immédiatement menacé les entreprises françaises de mesures de rétorsion et l'affaire pourrait coûter très cher à la France, déjà victime d'une récession économique. Elle pourrait être contre-productive en Turquie même, où les citoyens de toutes obédiences se sentent peu ou prou atteints dans leur honneur par cette immixtion étrangère.
Cette nouvelle loi mémorielle, plus de vingt ans après la loi Gayssot (1990), témoigne des incohérences entourant la liberté d'expression, alors que, par ailleurs, des artistes et des libéraux réclament la liberté de moquer sans limite toutes les religions. Elle illustre aussi la tentation des dirigeants politiques de détourner l'attention des citoyens de leurs échecs économiques, sociaux et diplomatiques.
Une semaine d'Histoire du 23 Avril 2012 au 29 Avril 2012 avec Herodote.net
Le samedi 24 avril 1915, à Istamboul, capitale de l'empire ottoman, 600 notables arméniens sont assassinés sur ordre du gouvernement. C'est le début d'un génocide, le premier du XXe siècle. Il va faire environ 1,2 million de victimes dans la population arménienne de l'empire turc.
Un empire composite.
Aux premiers siècles de son existence, l'empire ottoman comptait une majorité de chrétiens (Slaves, Grecs, Arméniens, Caucasiens, Assyriens....). Ils jouaient un grand rôle dans le commerce et l'administration, et leur influence s'étendait au Sérail, le palais du sultan. Ces «protégés» (dhimmis en arabe coranique) n'en étaient pas moins soumis à de lourds impôts et avaient l'interdiction de porter les armes.
Les premiers sultans, souvent nés d'une mère chrétienne - esclave du harem de leur père -, témoignaient d'une relative bienveillance à l'égard des Grecs orthodoxes et des Arméniens monophysites.
Ces derniers étaient surtout établis dans l'ancien royaume d'Arménie, au pied du Caucase, premier royaume de l'Histoire à s'être rallié au christianisme ! Ils étaient majoritaires aussi en Cilicie, une province du sud de l'Asie mineure que l'on appelait parfois «Petite Arménie». On en retrouvait aussi à Istamboul ainsi que dans les villes libanaises et à Jérusalem.
L'empire ottoman comptait environ 2 millions d'Arméniens à la fin du XIXe siècle sur une population totale de 36 millions d'habitants.
Ébauche de génocide.
Dans les années qui précèdent la Grande Guerre, la décadence de l'empire ottoman s'accélère après une tentative de modernisation par le haut dans la période du Tanzimat, entre 1839 et 1876. Le sultan Abdul-Hamid II n'hésite pas à attiser sans vergogne les haines religieuses pour consolider son pouvoir (les derniers tsars de Russie font de même dans leur empire).
Entre 1894 et 1896, comme les Arméniens réclament des réformes et une modernisation des institutions, le sultan en fait massacrer 200.000 à 250.000 avec le concours diligent des montagnards kurdes.
Un million d'Arméniens sont dépouillés de leurs biens et quelques milliers convertis de force. Des centaines d'églises sont brûlées ou transformées en mosquées... Rien qu'en juin 1896, dans la région de Van, au coeur de l'Arménie historique, pas moins de 350 villages sont rayés de la carte.
Ces massacres planifiés ont un avant-goût de génocide. L'Américain George Hepworth enquêtant sur les lieux deux ans après les faits, écrit : «Pendant mes déplacements en Arménie, j'ai été de jour en jour plus profondément convaincu que l'avenir des Arméniens est excessivement sombre. Il se peut que la main des Turcs soit retenue dans la crainte de l'Europe mais je suis sûr que leur objectif est l'extermination et qu'ils poursuivront cet objectif jusqu'au bout si l'occasion s'en présente. Ils sont déjà tout près de l'avoir atteint» (*).
Les Occidentaux se contentent de plates protestations mais le crime ne profite guère au sultan. Celui-ci tente de jouer la carte de chef spirituel de tous les musulmans en sa qualité de calife. Il fait construire le chemin de fer du Hedjaz pour faciliter les pèlerinages à La Mecque. Il se rapproche aussi de l'Allemagne de Guillaume II. Mais il est déposé en 1909 par le mouvement nationaliste des «Jeunes-Turcs» qui lui reprochent de livrer l'empire aux appétits étrangers et de montrer trop de complaisance pour les Arabes.
Les «Jeunes-Turcs» veulent se démarquer des «Vieux-Turcs» qui, au début du XIXe siècle, s'opposèrent à la modernisation de l'empire.
Ils installent au pouvoir un Comité Union et Progrès (CUP, en turc Ittihad) dirigé par Enver pacha (27 ans), sous l'égide d'un nouveau sultan, Mohamed V.
Ils donnent au pays une Constitution... ainsi qu'une devise empruntée à la France: «Liberté, Égalité, Fraternité».
Ils laissent espérer un sort meilleur aux minorités de l'empire, sur des bases laïques. Mais leur idéologie emprunte au nationalisme le plus étroit.
Confrontés à un lent démembrement de l'empire multinational et à sa transformation en puissance asiatique (l'empire ne possède plus en Europe que la région d'Istamboul), ils se font les champions du «touranisme». Cette idéologie prône l'union de tous les peuples de langue turque ou assimilée, de la mer Égée aux confins de la Chine (Anatolie, Azerbaïdjan, Kazakhstan, etc) (*).
Dès 1909, soucieux de créer une nation turque racialement homogène, les Jeunes-Turcs multiplient les exactions contre les Arméniens d'Asie mineure. On compte ainsi 20.000 à 30.000 morts à Adana le 1er avril 1909...
Les Jeunes-Turcs lancent des campagnes de boycott des commerces tenus par des Grecs, des Juifs ou des Arméniens. Ils réécrivent l'Histoire en occultant la période ottomane, trop peu turque à leur goût, et en rattachant la race turque aux Mongols de Gengis Khan, aux Huns d'Attila, voire aux Hittites de la haute Antiquité. Ce nationalisme outrancier ne les empêche pas de perdre les deux guerres balkaniques de 1912 et 1913.
La Turquie dans la guerre de 1914-1918.
Le 8 février 1914, la Russie impose au gouvernement turc une commission internationale destinée à veiller aux bonnes relations entre les populations ottomanes. Les Jeunes-Turcs ravalent leur humiliation mais lorsque la Grande Guerre éclate, en août de la même année, ils poussent ils poussent le sultan Mahomet V à entrer dans le conflit, aux côtés des Puissances centrales (Allemagne et Autriche), contre la Russie et les Occidentaux.
Le sultan déclare la guerre le 1er novembre 1914. Les Turcs tentent de soulever en leur faveur les Arméniens de Russie. Mal leur en prend... Bien qu'en nombre supérieur, ils sont défaits par les Russes à Sarikamish le 29 décembre 1914.
L'empire ottoman est envahi. L'armée turque perd 100.000 hommes. Elle bat en retraite et, exaspérée, multiplie les violences à l'égard des Arméniens dans les territoires qu'elle traverse. Les Russes, à leur tour, retournent en leur faveur les Arméniens de Turquie. Le 7 avril 1915, la ville de Van, à l'est de la Turquie, se soulève et proclame un gouvernement arménien autonome.
Dans le même temps, à l'initiative du Lord britannique de l'Amirauté, un certain Winston Churchill, les Français et les Britanniques préparent un débarquement dans le détroit des Dardanelles pour se saisir d'Istamboul.
Le génocide.
Les Jeunes-Turcs profitent de l'occasion pour accomplir leur dessein d'éliminer la totalité des Arméniens de l'Asie mineure, qu'ils considèrent comme le foyer national exclusif du peuple turc. Ils procèdent avec méthode et brutalité.
L'un de leurs chefs, le ministre de l'Intérieur Talaat Pacha, ordonne l'assassinat des Arméniens d'Istamboul puis des Arméniens de l'armée, bien que ces derniers aient fait la preuve de leur loyauté (on a ainsi compté moins de désertions chez les soldats arméniens que chez leurs homologues turcs). C'est ensuite le tour des nombreuses populations arméniennes des sept provinces orientales (les Arméniens des provinces arabophones du Liban et de Jérusalem ne seront jamais inquiétés).
Voici le texte d'un télégramme transmis par le ministre à la direction des Jeunes-Turcs de la préfecture d'Alep : «Le gouvernement a décidé de détruire tous les Arméniens résidant en Turquie. Il faut mettre fin à leur existence, aussi criminelles que soient les mesures à prendre. Il ne faut tenir compte ni de l'âge, ni du sexe. Les scrupules de conscience n'ont pas leur place ici».
Le gouvernement destitue les fonctionnaires locaux qui font preuve de tiédeur, ainsi que le rapporte l'historien britannique Arnold Toynbee, qui enquêta sur place.
Dans un premier temps, les agents du gouvernement rassemblent les hommes de moins de 20 ans et de plus de 45 ans et les éloignent de leur région natale pour leur faire accomplir des travaux épuisants. Beaucoup d'hommes sont aussi tués sur place.
La «Loi provisoire de déportation» du 27 mai 1915 fixe le cadre réglementaire de la déportation des survivants ainsi que de la spoliation des victimes.
Dans les villages qui ont été quelques semaines plus tôt privés de leurs notables et de leurs jeunes gens, militaires et gendarmes ont toute facilité à réunir les femmes et les enfants. Ces malheureux sont réunis en longs convois et déportés vers le sud, vers Alep, une ville de la Syrie ottomane.
Les marches se déroulent sous le soleil de l'été, dans des conditions épouvantables, sans vivres et sans eau, sous la menace constante des montagnards kurdes, trop heureux de pouvoir librement exterminer leurs voisins et rivaux. Elles débouchent en général sur une mort rapide.
Survivent toutefois beaucoup de jeunes femmes ou d'adolescentes (parmi les plus jolies) ; celles-là sont enlevées par les Turcs ou les Kurdes pour être vendues comme esclaves ou converties de force à l'islam et mariées à des familiers (en ce début du XXIe siècle, beaucoup de Turcs sont ainsi troublés de découvrir qu'ils descendent ainsi d'une jeune chrétienne d'Arménie arrachée à sa famille et à sa culture).
En septembre, après les habitants des provinces orientales, vient le tour d'autres Arméniens de l'empire. Ceux-là sont convoyés vers Alep dans des wagons à bestiaux puis transférés dans des camps de concentration en zone désertique où ils ne tardent pas à succomber à leur tour.
Au total disparaissent pendant l'été 1915 les deux tiers de la population arménienne sous souveraineté ottomane.
Les Européens et le génocide.
En Occident, les informations sur le génocide émeuvent l'opinion mais le sultan se justifie en arguant de la nécessité de déplacer les populations pour des raisons militaires !
Le gouvernement allemand, allié de la Turquie, censure les informations sur le génocide. L'Allemagne entretient en Turquie, pendant le conflit, une mission militaire très importante (jusqu'à 12.000 hommes). Et après la guerre, c'est en Allemagne que se réfugient les responsables du génocide, y compris Talaat Pacha.
Ce dernier est assassiné à Berlin le 16 mars 1921 par un jeune Arménien. Mais l'assassin sera acquitté par la justice allemande, preuve si besoin est d'une réelle démocratisation de la vie allemande sous le régime républicain issu de Weimar !
Le traité de Sèvres signé le 10 août 1920 entre les Alliés et l'empire ottoman prévoit la mise en jugement des responsables du génocide. Mais le sursaut nationaliste de Moustafa Kémal bouscule ces bonnes résolutions et entraîne une amnistie générale, le 31 mars 1923.
Les nazis tireront les leçons du premier génocide de l'Histoire et de cette occasion perdue de juger les coupables... «Qui se souvient encore de l'extermination des Arméniens ?» aurait lancé Hitler en 1939, à la veille de massacrer les handicapés de son pays (l'extermination des Juifs viendra deux ans plus tard).
À la vérité, c'est seulement dans les années 1980 que l'opinion publique occidentale a retrouvé le souvenir de ce génocide, à l'investigation de l'Église arménienne et des jeunes militants de la troisième génération, dont certains n'ont pas hésité à recourir à des attentats contre les intérêts turcs.
Les historiens multiplient depuis lors les enquêtes et les témoignages sur ce génocide, le premier du siècle. Le cinéaste français d'origine arménienne Henri Verneuil a évoqué dans un film émouvant, Mayrig, en 1991, l'histoire de sa famille qui a vécu ce drame dans sa chair. On trouvera par ailleurs dans Le siècle des génocides (Bernard Bruneteau, Armand Colin, 2004) une très claire et très complète enquête sur ce génocide (et les autres), avec sources et références à l'appui.
André Larané.
Commentaire : les Turcs et le génocide.
Les «Jeunes Turcs» sont à l'origine du sentiment national turc. Ils ont permis l'émergence d'une grande nation. Mais ils sont aussi responsables de l'extermination de la plus grande partie des chrétiens arméniens d'Asie mineure en 1915.
En 1923, le général Moustafa Kémal a parachevé la «turcisation» de la Turquie en expulsant les Grecs qui y vivaient depuis la haute Antiquité. Istamboul, ville aux deux-tiers chrétienne en 1914, est devenue exclusivement turque et musulmane après cette date. Depuis lors, les gouvernements turcs s'obstinent à ne pas vouloir reconnaître le génocide arménien. C'est le cas aussi de la presque totalité des citoyens de ce pays. Qu'ils appartiennent à la minorité laïque ou à la majorité islamiste, ils ne veulent rien renier du nationalisme et de l'idéologie raciale de Moustafa Kémal et des Jeunes Turcs.
Les Turcs les plus accommodants attribuent la responsabilité des massacres à un régime disparu, le sultanat, ou aux aléas de la guerre. Ils font aussi valoir que ces massacres ne visaient pas à l'extermination du peuple arménien et en donnent pour preuve que les Arméniens de Jérusalem et du Liban n'ont pas été affectés. Ils relativisent le drame et le comparent par exemple aux méfaits de la guerre d'Algérie. Enfin, la plupart des Turcs considèrent -sans doute à tort- que leur nation s'affaiblirait en reconnaissant la réalité du génocide.
La France et le génocide arménien
De nombreux Arméniens rescapés des massacres de 1915 ont débarqué à Marseille et se sont établis en France. Leurs descendants sont aujourd'hui 300.000 à 500.000.
Dans le dessein de gagner leur vote à l'élection présidentielle de 2002, la droite et la gauche parlementaires ont voté à l'unanimité une loi réduite à un article : «La République française reconnaît le génocide arménien». Il en est résulté une crise avec la Turquie, déjà agacée par l'opposition de la France à son entrée dans l'Union européenne.
En 2006, peu avant l'élection présidentielle suivante, le parti socialiste a fait de la surenchère en tentant de pénaliser la «négation» du génocide. Il y a échoué et son texte a été prestement enterré par le nouveau président, soucieux de restaurer de bonnes relations avec la Turquie.
Mais à l'avant-veille de l'élection présidentielle de 2012, Nicolas Sarkozy lui-même a relancé le projet pour retrouver la faveur des électeurs d'origine arménienne. C'est ainsi que le 22 décembre 2011, une députée UMP a déposé une proposition de loi qui punit d’un an d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende la négation, voire la «minimisation», d'un génocide reconnu par la République française.
Les Turcs ont immédiatement menacé les entreprises françaises de mesures de rétorsion et l'affaire pourrait coûter très cher à la France, déjà victime d'une récession économique. Elle pourrait être contre-productive en Turquie même, où les citoyens de toutes obédiences se sentent peu ou prou atteints dans leur honneur par cette immixtion étrangère.
Cette nouvelle loi mémorielle, plus de vingt ans après la loi Gayssot (1990), témoigne des incohérences entourant la liberté d'expression, alors que, par ailleurs, des artistes et des libéraux réclament la liberté de moquer sans limite toutes les religions. Elle illustre aussi la tentation des dirigeants politiques de détourner l'attention des citoyens de leurs échecs économiques, sociaux et diplomatiques.
Une semaine d'Histoire du 23 Avril 2012 au 29 Avril 2012 avec Herodote.net
Dernière édition par Jacknap1948 le Mer 24 Avr 2013 - 10:19, édité 1 fois
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À mon très grand ami Patrice († 58).
À ma petite belle-fille Gaëlle († 31).
Décor "simpliste" sur lequel nous avions rejoué, à 9 joueurs, la Bataille d'Eylau en 1807.
Jacknap1948- Administrateur
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Humeur : Généralement bonne.
Re: 24 avril 1915 : Le génocide arménien.
Salut notre Steve.dragonww2 a écrit:Merci Jacques!!!
Merci de votre visite notre bon Sieur de Mons.
Votre dévoué Jacques.
_________________
À mon très grand ami Patrice († 58).
À ma petite belle-fille Gaëlle († 31).
Décor "simpliste" sur lequel nous avions rejoué, à 9 joueurs, la Bataille d'Eylau en 1807.
Jacknap1948- Administrateur
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24 avril 1915 : Le génocide arménien.
24 avril 1915 : Le génocide arménien.
Le samedi 24 avril 1915, à Constantinople, capitale de l'empire ottoman, 600 notables arméniens sont assassinés sur ordre du gouvernement. C'est le début d'un génocide, le premier du XXe siècle.
Il va faire environ 1,2 million de victimes dans la population arménienne de l'empire turc (ainsi que plusieurs centaines de milliers dans la minorité assyro-chaldéenne).
André Larané
La République turque et le génocide
La République turque, qui a succédé en 1923 à l'empire ottoman, ne nie pas la réalité des déportations et des massacres mais en conteste la responsabilité et surtout rejette le qualificatif de génocide.
Les Turcs les plus accommodants attribuent la responsabilité des massacres à un régime disparu, le sultanat, ou aux aléas de la guerre. Le gouvernement d'Istamboul, allié de l'Allemagne contre la Russie, la France et l'Angleterre, pouvait en effet craindre une alliance entre les Russes et les Arméniens de l'intérieur, chrétiens comme eux.
Ils font aussi valoir que ces massacres n'étaient pas motivés par une idéologie raciale. Ils ne visaient pas à l'extermination systématique du peuple arménien. Ainsi, les Arméniens de Jérusalem et de Syrie, alors possessions ottomanes, n'ont pas été affectés par les massacres. Beaucoup de jeunes filles ont aussi pu sauver leur vie en se convertissant à l'islam et en épousant un Turc, une « chance » dont n'ont pas bénéficié les Juives victimes des nazis... Pour les mêmes raisons, certains historiens occidentaux contestent également le qualificatif de génocide.
Jeunes filles arméniennes d'Anatolie en 1910 (Source : Comité de Défense de la Cause Arménienne)
Un empire composite.
Aux premiers siècles de son existence, l'empire ottoman comptait une majorité de chrétiens (Slaves, Grecs, Arméniens, Caucasiens, Assyriens....). Ils jouaient un grand rôle dans le commerce et l'administration, et leur influence s'étendait au Sérail, le palais du sultan. Ces «protégés» (dhimmis en arabe coranique) n'en étaient pas moins soumis à de lourds impôts et avaient l'interdiction de porter les armes.
Les premiers sultans, souvent nés d'une mère chrétienne - esclave du harem de leur père -, témoignaient d'une relative bienveillance à l'égard des Grecs orthodoxes et des Arméniens monophysites.
Ces derniers étaient surtout établis dans l'ancien royaume d'Arménie, au pied du Caucase, premier royaume de l'Histoire à s'être rallié au christianisme ! Ils étaient majoritaires aussi en Cilicie, une province du sud de l'Asie mineure que l'on appelait parfois «Petite Arménie». On en retrouvait aussi à Istamboul ainsi que dans les villes libanaises et à Jérusalem.
L'empire ottoman comptait environ 2 millions d'Arméniens à la fin du XIXe siècle sur une population totale de 36 millions d'habitants.
Vidéo : les massacres des Arméniens
 
Réalisée par Jean Eckian, journaliste d'origine arménienne, la vidéo ci-dessus raconte en 14 minutes l'histoire de l'Arménie et du génocide (première diffusion : Radio Monte-Carlo, 1976).
Ébauche de génocide.
Dans les années qui précèdent la Grande Guerre, la décadence de l'empire ottoman s'accélère après une tentative de modernisation par le haut dans la période du Tanzimat, entre 1839 et 1876. Le sultan Abdul-Hamid II n'hésite pas à attiser sans vergogne les haines religieuses pour consolider son pouvoir (les derniers tsars de Russie font de même dans leur empire).
Entre 1894 et 1896, comme les Arméniens réclament des réformes et une modernisation des institutions, le sultan en fait massacrer 200.000 à 250.000 avec le concours diligent des montagnards kurdes.
Un million d'Arméniens sont dépouillés de leurs biens et quelques milliers convertis de force. Des centaines d'églises sont brûlées ou transformées en mosquées... Rien qu'en juin 1896, dans la région de Van, au coeur de l'Arménie historique, pas moins de 350 villages sont rayés de la carte.
Ces massacres planifiés ont un avant-goût de génocide. L'Américain George Hepworth enquêtant sur les lieux deux ans après les faits, écrit : «Pendant mes déplacements en Arménie, j'ai été de jour en jour plus profondément convaincu que l'avenir des Arméniens est excessivement sombre. Il se peut que la main des Turcs soit retenue dans la crainte de l'Europe mais je suis sûr que leur objectif est l'extermination et qu'ils poursuivront cet objectif jusqu'au bout si l'occasion s'en présente. Ils sont déjà tout près de l'avoir atteint» (*).
Les Occidentaux se contentent de plates protestations mais le crime ne profite guère au sultan. Celui-ci tente de jouer la carte de chef spirituel de tous les musulmans en sa qualité de calife. Il fait construire le chemin de fer du Hedjaz pour faciliter les pèlerinages à La Mecque. Il se rapproche aussi de l'Allemagne de Guillaume II. Mais il est déposé en 1909 par le mouvement nationaliste des «Jeunes-Turcs» qui lui reprochent de livrer l'empire aux appétits étrangers et de montrer trop de complaisance pour les Arabes.
Les «Jeunes-Turcs» veulent se démarquer des «Vieux-Turcs» qui, au début du XIXe siècle, s'opposèrent à la modernisation de l'empire.
Ils installent au pouvoir un Comité Union et Progrès (CUP, en turc Ittihad) dirigé par Enver pacha (27 ans), sous l'égide d'un nouveau sultan, Mohamed V.
Ils donnent au pays une Constitution... ainsi qu'une devise empruntée à la France: «Liberté, Égalité, Fraternité».
Ils laissent espérer un sort meilleur aux minorités de l'empire, sur des bases laïques. Mais leur idéologie emprunte au nationalisme le plus étroit.
Confrontés à un lent démembrement de l'empire multinational et à sa transformation en puissance asiatique (l'empire ne possède plus en Europe que la région d'Istamboul), ils se font les champions du «touranisme». Cette idéologie prône l'union de tous les peuples de langue turque ou assimilée, de la mer Égée aux confins de la Chine (Anatolie, Azerbaïdjan, Kazakhstan, etc) (*).
Dès 1909, soucieux de créer une nation turque racialement homogène, les Jeunes-Turcs multiplient les exactions contre les Arméniens d'Asie mineure. On compte ainsi 20.000 à 30.000 morts à Adana le 1er avril 1909...
Les Jeunes-Turcs lancent des campagnes de boycott des commerces tenus par des Grecs, des Juifs ou des Arméniens. Ils réécrivent l'Histoire en occultant la période ottomane, trop peu turque à leur goût, et en rattachant la race turque aux Mongols de Gengis Khan, aux Huns d'Attila, voire aux Hittites de la haute Antiquité. Ce nationalisme outrancier ne les empêche pas de perdre les deux guerres balkaniques de 1912 et 1913.
La Turquie dans la guerre de 1914-1918.
Le 8 février 1914, la Russie impose au gouvernement turc une commission internationale destinée à veiller aux bonnes relations entre les populations ottomanes. Les Jeunes-Turcs ravalent leur humiliation mais lorsque la Grande Guerre éclate, en août de la même année, ils poussent ils poussent le sultan Mahomet V à entrer dans le conflit, aux côtés des Puissances centrales (Allemagne et Autriche), contre la Russie et les Occidentaux.
Le sultan déclare la guerre le 1er novembre 1914. Les Turcs tentent de soulever en leur faveur les Arméniens de Russie. Mal leur en prend... Bien qu'en nombre supérieur, ils sont défaits par les Russes à Sarikamish le 29 décembre 1914.
L'empire ottoman est envahi. L'armée turque perd 100.000 hommes. Elle bat en retraite et, exaspérée, multiplie les violences à l'égard des Arméniens dans les territoires qu'elle traverse. Les Russes, à leur tour, retournent en leur faveur les Arméniens de Turquie. Le 7 avril 1915, la ville de Van, à l'est de la Turquie, se soulève et proclame un gouvernement arménien autonome.
Dans le même temps, à l'initiative du Lord britannique de l'Amirauté, un certain Winston Churchill, les Français et les Britanniques préparent un débarquement dans le détroit des Dardanelles pour se saisir d'Istamboul.
Le génocide.
Les Jeunes-Turcs profitent de l'occasion pour accomplir leur dessein d'éliminer la totalité des Arméniens de l'Asie mineure, qu'ils considèrent comme le foyer national exclusif du peuple turc. Ils procèdent avec méthode et brutalité.
L'un de leurs chefs, le ministre de l'Intérieur Talaat Pacha, ordonne l'assassinat des Arméniens d'Istamboul puis des Arméniens de l'armée, bien que ces derniers aient fait la preuve de leur loyauté (on a ainsi compté moins de désertions chez les soldats arméniens que chez leurs homologues turcs). C'est ensuite le tour des nombreuses populations arméniennes des sept provinces orientales (les Arméniens des provinces arabophones du Liban et de Jérusalem ne seront jamais inquiétés).
Voici le texte d'un télégramme transmis par le ministre à la direction des Jeunes-Turcs de la préfecture d'Alep : «Le gouvernement a décidé de détruire tous les Arméniens résidant en Turquie. Il faut mettre fin à leur existence, aussi criminelles que soient les mesures à prendre. Il ne faut tenir compte ni de l'âge, ni du sexe. Les scrupules de conscience n'ont pas leur place ici».
Le gouvernement destitue les fonctionnaires locaux qui font preuve de tiédeur, ainsi que le rapporte l'historien britannique Arnold Toynbee, qui enquêta sur place.
Dans un premier temps, les agents du gouvernement rassemblent les hommes de moins de 20 ans et de plus de 45 ans et les éloignent de leur région natale pour leur faire accomplir des travaux épuisants. Beaucoup d'hommes sont aussi tués sur place.
La «Loi provisoire de déportation» du 27 mai 1915 fixe le cadre réglementaire de la déportation des survivants ainsi que de la spoliation des victimes.
Dans les villages qui ont été quelques semaines plus tôt privés de leurs notables et de leurs jeunes gens, militaires et gendarmes ont toute facilité à réunir les femmes et les enfants. Ces malheureux sont réunis en longs convois et déportés vers le sud, vers Alep, une ville de la Syrie ottomane.
Les marches se déroulent sous le soleil de l'été, dans des conditions épouvantables, sans vivres et sans eau, sous la menace constante des montagnards kurdes, trop heureux de pouvoir librement exterminer leurs voisins et rivaux. Elles débouchent en général sur une mort rapide.
Survivent toutefois beaucoup de jeunes femmes ou d'adolescentes (parmi les plus jolies) ; celles-là sont enlevées par les Turcs ou les Kurdes pour être vendues comme esclaves ou converties de force à l'islam et mariées à des familiers (en ce début du XXIe siècle, beaucoup de Turcs sont ainsi troublés de découvrir qu'ils descendent ainsi d'une jeune chrétienne d'Arménie arrachée à sa famille et à sa culture).
En septembre, après les habitants des provinces orientales, vient le tour d'autres Arméniens de l'empire. Ceux-là sont convoyés vers Alep dans des wagons à bestiaux puis transférés dans des camps de concentration en zone désertique où ils ne tardent pas à succomber à leur tour.
Au total disparaissent pendant l'été 1915 les deux tiers de la population arménienne sous souveraineté ottomane.
Les Européens et le génocide.
En Occident, les informations sur le génocide émeuvent l'opinion mais le sultan se justifie en arguant de la nécessité de déplacer les populations pour des raisons militaires !
Le gouvernement allemand, allié de la Turquie, censure les informations sur le génocide. L'Allemagne entretient en Turquie, pendant le conflit, une mission militaire très importante (jusqu'à 12.000 hommes). Et après la guerre, c'est en Allemagne que se réfugient les responsables du génocide, y compris Talaat Pacha.
Ce dernier est assassiné à Berlin le 16 mars 1921 par un jeune Arménien. Mais l'assassin sera acquitté par la justice allemande, preuve si besoin est d'une réelle démocratisation de la vie allemande sous le régime républicain issu de Weimar !
Le traité de Sèvres signé le 10 août 1920 entre les Alliés et l'empire ottoman prévoit la mise en jugement des responsables du génocide. Mais le sursaut nationaliste de Moustafa Kémal bouscule ces bonnes résolutions et entraîne une amnistie générale, le 31 mars 1923.
Les nazis tireront les leçons du premier génocide de l'Histoire et de cette occasion perdue de juger les coupables... «Qui se souvient encore de l'extermination des Arméniens ?» aurait lancé Hitler en 1939, à la veille de massacrer les handicapés de son pays (l'extermination des Juifs viendra deux ans plus tard).
À la vérité, c'est seulement dans les années 1980 que l'opinion publique occidentale a retrouvé le souvenir de ce génocide, à l'investigation de l'Église arménienne et des jeunes militants de la troisième génération, dont certains n'ont pas hésité à recourir à des attentats contre les intérêts turcs.
Les historiens multiplient depuis lors les enquêtes et les témoignages sur ce génocide, le premier du siècle. Le cinéaste français d'origine arménienne Henri Verneuil a évoqué dans un film émouvant, Mayrig, en 1991, l'histoire de sa famille qui a vécu ce drame dans sa chair. On trouvera par ailleurs dans Le siècle des génocides (Bernard Bruneteau, Armand Colin, 2004) une très claire et très complète enquête sur ce génocide (et les autres), avec sources et références à l'appui.
André Larané.
Commentaire : les Turcs et le génocide.
Les «Jeunes Turcs» sont à l'origine du sentiment national turc. Ils ont permis l'émergence d'une grande nation. Mais ils sont aussi responsables de l'extermination de la plus grande partie des chrétiens arméniens d'Asie mineure en 1915.
En 1923, le général Moustafa Kémal a parachevé la «turcisation» de la Turquie en expulsant les Grecs qui y vivaient depuis la haute Antiquité. Istamboul, ville aux deux-tiers chrétienne en 1914, est devenue exclusivement turque et musulmane après cette date. Depuis lors, les gouvernements turcs s'obstinent à ne pas vouloir reconnaître le génocide arménien. C'est le cas aussi de la presque totalité des citoyens de ce pays. Qu'ils appartiennent à la minorité laïque ou à la majorité islamiste, ils ne veulent rien renier du nationalisme et de l'idéologie raciale de Moustafa Kémal et des Jeunes Turcs.
Les Turcs les plus accommodants attribuent la responsabilité des massacres à un régime disparu, le sultanat, ou aux aléas de la guerre. Ils font aussi valoir que ces massacres ne visaient pas à l'extermination du peuple arménien et en donnent pour preuve que les Arméniens de Jérusalem et du Liban n'ont pas été affectés. Ils relativisent le drame et le comparent par exemple aux méfaits de la guerre d'Algérie. Enfin, la plupart des Turcs considèrent -sans doute à tort- que leur nation s'affaiblirait en reconnaissant la réalité du génocide.
La France et le génocide arménien
De nombreux Arméniens rescapés des massacres de 1915 ont débarqué à Marseille et se sont établis en France. Leurs descendants sont aujourd'hui 300.000 à 500.000.
Dans le dessein de gagner leur vote à l'élection présidentielle de 2002, la droite et la gauche parlementaires ont voté à l'unanimité une loi réduite à un article : «La République française reconnaît le génocide arménien». Il en est résulté une crise avec la Turquie, déjà agacée par l'opposition de la France à son entrée dans l'Union européenne.
En 2006, peu avant l'élection présidentielle suivante, le parti socialiste a fait de la surenchère en tentant de pénaliser la «négation» du génocide. Il y a échoué et son texte a été prestement enterré par le nouveau président, soucieux de restaurer de bonnes relations avec la Turquie.
Mais à l'avant-veille de l'élection présidentielle de 2012, Nicolas Sarkozy lui-même a relancé le projet pour retrouver la faveur des électeurs d'origine arménienne. C'est ainsi que le 22 décembre 2011, une députée UMP a déposé une proposition de loi qui punit d’un an d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende la négation, voire la «minimisation», d'un génocide reconnu par la République française.
Les Turcs ont immédiatement menacé les entreprises françaises de mesures de rétorsion et l'affaire pourrait coûter très cher à la France, déjà victime d'une récession économique. Elle pourrait être contre-productive en Turquie même, où les citoyens de toutes obédiences se sentent peu ou prou atteints dans leur honneur par cette immixtion étrangère.
Cette nouvelle loi mémorielle, plus de vingt ans après la loi Gayssot (1990), témoigne des incohérences entourant la liberté d'expression, alors que, par ailleurs, des artistes et des libéraux réclament la liberté de moquer sans limite toutes les religions. Elle illustre aussi la tentation des dirigeants politiques de détourner l'attention des citoyens de leurs échecs économiques, sociaux et diplomatiques.
Une semaine d'Histoire du 20 Avril 2015 au 26 Avril 2015 avec Herodote.net
Le samedi 24 avril 1915, à Constantinople, capitale de l'empire ottoman, 600 notables arméniens sont assassinés sur ordre du gouvernement. C'est le début d'un génocide, le premier du XXe siècle.
Il va faire environ 1,2 million de victimes dans la population arménienne de l'empire turc (ainsi que plusieurs centaines de milliers dans la minorité assyro-chaldéenne).
André Larané
La République turque et le génocide
La République turque, qui a succédé en 1923 à l'empire ottoman, ne nie pas la réalité des déportations et des massacres mais en conteste la responsabilité et surtout rejette le qualificatif de génocide.
Les Turcs les plus accommodants attribuent la responsabilité des massacres à un régime disparu, le sultanat, ou aux aléas de la guerre. Le gouvernement d'Istamboul, allié de l'Allemagne contre la Russie, la France et l'Angleterre, pouvait en effet craindre une alliance entre les Russes et les Arméniens de l'intérieur, chrétiens comme eux.
Ils font aussi valoir que ces massacres n'étaient pas motivés par une idéologie raciale. Ils ne visaient pas à l'extermination systématique du peuple arménien. Ainsi, les Arméniens de Jérusalem et de Syrie, alors possessions ottomanes, n'ont pas été affectés par les massacres. Beaucoup de jeunes filles ont aussi pu sauver leur vie en se convertissant à l'islam et en épousant un Turc, une « chance » dont n'ont pas bénéficié les Juives victimes des nazis... Pour les mêmes raisons, certains historiens occidentaux contestent également le qualificatif de génocide.
Jeunes filles arméniennes d'Anatolie en 1910 (Source : Comité de Défense de la Cause Arménienne)
Un empire composite.
Aux premiers siècles de son existence, l'empire ottoman comptait une majorité de chrétiens (Slaves, Grecs, Arméniens, Caucasiens, Assyriens....). Ils jouaient un grand rôle dans le commerce et l'administration, et leur influence s'étendait au Sérail, le palais du sultan. Ces «protégés» (dhimmis en arabe coranique) n'en étaient pas moins soumis à de lourds impôts et avaient l'interdiction de porter les armes.
Les premiers sultans, souvent nés d'une mère chrétienne - esclave du harem de leur père -, témoignaient d'une relative bienveillance à l'égard des Grecs orthodoxes et des Arméniens monophysites.
Ces derniers étaient surtout établis dans l'ancien royaume d'Arménie, au pied du Caucase, premier royaume de l'Histoire à s'être rallié au christianisme ! Ils étaient majoritaires aussi en Cilicie, une province du sud de l'Asie mineure que l'on appelait parfois «Petite Arménie». On en retrouvait aussi à Istamboul ainsi que dans les villes libanaises et à Jérusalem.
L'empire ottoman comptait environ 2 millions d'Arméniens à la fin du XIXe siècle sur une population totale de 36 millions d'habitants.
Vidéo : les massacres des Arméniens
 
Réalisée par Jean Eckian, journaliste d'origine arménienne, la vidéo ci-dessus raconte en 14 minutes l'histoire de l'Arménie et du génocide (première diffusion : Radio Monte-Carlo, 1976).
Ébauche de génocide.
Dans les années qui précèdent la Grande Guerre, la décadence de l'empire ottoman s'accélère après une tentative de modernisation par le haut dans la période du Tanzimat, entre 1839 et 1876. Le sultan Abdul-Hamid II n'hésite pas à attiser sans vergogne les haines religieuses pour consolider son pouvoir (les derniers tsars de Russie font de même dans leur empire).
Entre 1894 et 1896, comme les Arméniens réclament des réformes et une modernisation des institutions, le sultan en fait massacrer 200.000 à 250.000 avec le concours diligent des montagnards kurdes.
Un million d'Arméniens sont dépouillés de leurs biens et quelques milliers convertis de force. Des centaines d'églises sont brûlées ou transformées en mosquées... Rien qu'en juin 1896, dans la région de Van, au coeur de l'Arménie historique, pas moins de 350 villages sont rayés de la carte.
Ces massacres planifiés ont un avant-goût de génocide. L'Américain George Hepworth enquêtant sur les lieux deux ans après les faits, écrit : «Pendant mes déplacements en Arménie, j'ai été de jour en jour plus profondément convaincu que l'avenir des Arméniens est excessivement sombre. Il se peut que la main des Turcs soit retenue dans la crainte de l'Europe mais je suis sûr que leur objectif est l'extermination et qu'ils poursuivront cet objectif jusqu'au bout si l'occasion s'en présente. Ils sont déjà tout près de l'avoir atteint» (*).
Les Occidentaux se contentent de plates protestations mais le crime ne profite guère au sultan. Celui-ci tente de jouer la carte de chef spirituel de tous les musulmans en sa qualité de calife. Il fait construire le chemin de fer du Hedjaz pour faciliter les pèlerinages à La Mecque. Il se rapproche aussi de l'Allemagne de Guillaume II. Mais il est déposé en 1909 par le mouvement nationaliste des «Jeunes-Turcs» qui lui reprochent de livrer l'empire aux appétits étrangers et de montrer trop de complaisance pour les Arabes.
Les «Jeunes-Turcs» veulent se démarquer des «Vieux-Turcs» qui, au début du XIXe siècle, s'opposèrent à la modernisation de l'empire.
Ils installent au pouvoir un Comité Union et Progrès (CUP, en turc Ittihad) dirigé par Enver pacha (27 ans), sous l'égide d'un nouveau sultan, Mohamed V.
Ils donnent au pays une Constitution... ainsi qu'une devise empruntée à la France: «Liberté, Égalité, Fraternité».
Ils laissent espérer un sort meilleur aux minorités de l'empire, sur des bases laïques. Mais leur idéologie emprunte au nationalisme le plus étroit.
Confrontés à un lent démembrement de l'empire multinational et à sa transformation en puissance asiatique (l'empire ne possède plus en Europe que la région d'Istamboul), ils se font les champions du «touranisme». Cette idéologie prône l'union de tous les peuples de langue turque ou assimilée, de la mer Égée aux confins de la Chine (Anatolie, Azerbaïdjan, Kazakhstan, etc) (*).
Dès 1909, soucieux de créer une nation turque racialement homogène, les Jeunes-Turcs multiplient les exactions contre les Arméniens d'Asie mineure. On compte ainsi 20.000 à 30.000 morts à Adana le 1er avril 1909...
Les Jeunes-Turcs lancent des campagnes de boycott des commerces tenus par des Grecs, des Juifs ou des Arméniens. Ils réécrivent l'Histoire en occultant la période ottomane, trop peu turque à leur goût, et en rattachant la race turque aux Mongols de Gengis Khan, aux Huns d'Attila, voire aux Hittites de la haute Antiquité. Ce nationalisme outrancier ne les empêche pas de perdre les deux guerres balkaniques de 1912 et 1913.
La Turquie dans la guerre de 1914-1918.
Le 8 février 1914, la Russie impose au gouvernement turc une commission internationale destinée à veiller aux bonnes relations entre les populations ottomanes. Les Jeunes-Turcs ravalent leur humiliation mais lorsque la Grande Guerre éclate, en août de la même année, ils poussent ils poussent le sultan Mahomet V à entrer dans le conflit, aux côtés des Puissances centrales (Allemagne et Autriche), contre la Russie et les Occidentaux.
Le sultan déclare la guerre le 1er novembre 1914. Les Turcs tentent de soulever en leur faveur les Arméniens de Russie. Mal leur en prend... Bien qu'en nombre supérieur, ils sont défaits par les Russes à Sarikamish le 29 décembre 1914.
L'empire ottoman est envahi. L'armée turque perd 100.000 hommes. Elle bat en retraite et, exaspérée, multiplie les violences à l'égard des Arméniens dans les territoires qu'elle traverse. Les Russes, à leur tour, retournent en leur faveur les Arméniens de Turquie. Le 7 avril 1915, la ville de Van, à l'est de la Turquie, se soulève et proclame un gouvernement arménien autonome.
Dans le même temps, à l'initiative du Lord britannique de l'Amirauté, un certain Winston Churchill, les Français et les Britanniques préparent un débarquement dans le détroit des Dardanelles pour se saisir d'Istamboul.
Le génocide.
Les Jeunes-Turcs profitent de l'occasion pour accomplir leur dessein d'éliminer la totalité des Arméniens de l'Asie mineure, qu'ils considèrent comme le foyer national exclusif du peuple turc. Ils procèdent avec méthode et brutalité.
L'un de leurs chefs, le ministre de l'Intérieur Talaat Pacha, ordonne l'assassinat des Arméniens d'Istamboul puis des Arméniens de l'armée, bien que ces derniers aient fait la preuve de leur loyauté (on a ainsi compté moins de désertions chez les soldats arméniens que chez leurs homologues turcs). C'est ensuite le tour des nombreuses populations arméniennes des sept provinces orientales (les Arméniens des provinces arabophones du Liban et de Jérusalem ne seront jamais inquiétés).
Voici le texte d'un télégramme transmis par le ministre à la direction des Jeunes-Turcs de la préfecture d'Alep : «Le gouvernement a décidé de détruire tous les Arméniens résidant en Turquie. Il faut mettre fin à leur existence, aussi criminelles que soient les mesures à prendre. Il ne faut tenir compte ni de l'âge, ni du sexe. Les scrupules de conscience n'ont pas leur place ici».
Le gouvernement destitue les fonctionnaires locaux qui font preuve de tiédeur, ainsi que le rapporte l'historien britannique Arnold Toynbee, qui enquêta sur place.
Dans un premier temps, les agents du gouvernement rassemblent les hommes de moins de 20 ans et de plus de 45 ans et les éloignent de leur région natale pour leur faire accomplir des travaux épuisants. Beaucoup d'hommes sont aussi tués sur place.
La «Loi provisoire de déportation» du 27 mai 1915 fixe le cadre réglementaire de la déportation des survivants ainsi que de la spoliation des victimes.
Dans les villages qui ont été quelques semaines plus tôt privés de leurs notables et de leurs jeunes gens, militaires et gendarmes ont toute facilité à réunir les femmes et les enfants. Ces malheureux sont réunis en longs convois et déportés vers le sud, vers Alep, une ville de la Syrie ottomane.
Les marches se déroulent sous le soleil de l'été, dans des conditions épouvantables, sans vivres et sans eau, sous la menace constante des montagnards kurdes, trop heureux de pouvoir librement exterminer leurs voisins et rivaux. Elles débouchent en général sur une mort rapide.
Survivent toutefois beaucoup de jeunes femmes ou d'adolescentes (parmi les plus jolies) ; celles-là sont enlevées par les Turcs ou les Kurdes pour être vendues comme esclaves ou converties de force à l'islam et mariées à des familiers (en ce début du XXIe siècle, beaucoup de Turcs sont ainsi troublés de découvrir qu'ils descendent ainsi d'une jeune chrétienne d'Arménie arrachée à sa famille et à sa culture).
En septembre, après les habitants des provinces orientales, vient le tour d'autres Arméniens de l'empire. Ceux-là sont convoyés vers Alep dans des wagons à bestiaux puis transférés dans des camps de concentration en zone désertique où ils ne tardent pas à succomber à leur tour.
Au total disparaissent pendant l'été 1915 les deux tiers de la population arménienne sous souveraineté ottomane.
Les Européens et le génocide.
En Occident, les informations sur le génocide émeuvent l'opinion mais le sultan se justifie en arguant de la nécessité de déplacer les populations pour des raisons militaires !
Le gouvernement allemand, allié de la Turquie, censure les informations sur le génocide. L'Allemagne entretient en Turquie, pendant le conflit, une mission militaire très importante (jusqu'à 12.000 hommes). Et après la guerre, c'est en Allemagne que se réfugient les responsables du génocide, y compris Talaat Pacha.
Ce dernier est assassiné à Berlin le 16 mars 1921 par un jeune Arménien. Mais l'assassin sera acquitté par la justice allemande, preuve si besoin est d'une réelle démocratisation de la vie allemande sous le régime républicain issu de Weimar !
Le traité de Sèvres signé le 10 août 1920 entre les Alliés et l'empire ottoman prévoit la mise en jugement des responsables du génocide. Mais le sursaut nationaliste de Moustafa Kémal bouscule ces bonnes résolutions et entraîne une amnistie générale, le 31 mars 1923.
Les nazis tireront les leçons du premier génocide de l'Histoire et de cette occasion perdue de juger les coupables... «Qui se souvient encore de l'extermination des Arméniens ?» aurait lancé Hitler en 1939, à la veille de massacrer les handicapés de son pays (l'extermination des Juifs viendra deux ans plus tard).
À la vérité, c'est seulement dans les années 1980 que l'opinion publique occidentale a retrouvé le souvenir de ce génocide, à l'investigation de l'Église arménienne et des jeunes militants de la troisième génération, dont certains n'ont pas hésité à recourir à des attentats contre les intérêts turcs.
Les historiens multiplient depuis lors les enquêtes et les témoignages sur ce génocide, le premier du siècle. Le cinéaste français d'origine arménienne Henri Verneuil a évoqué dans un film émouvant, Mayrig, en 1991, l'histoire de sa famille qui a vécu ce drame dans sa chair. On trouvera par ailleurs dans Le siècle des génocides (Bernard Bruneteau, Armand Colin, 2004) une très claire et très complète enquête sur ce génocide (et les autres), avec sources et références à l'appui.
André Larané.
Commentaire : les Turcs et le génocide.
Les «Jeunes Turcs» sont à l'origine du sentiment national turc. Ils ont permis l'émergence d'une grande nation. Mais ils sont aussi responsables de l'extermination de la plus grande partie des chrétiens arméniens d'Asie mineure en 1915.
En 1923, le général Moustafa Kémal a parachevé la «turcisation» de la Turquie en expulsant les Grecs qui y vivaient depuis la haute Antiquité. Istamboul, ville aux deux-tiers chrétienne en 1914, est devenue exclusivement turque et musulmane après cette date. Depuis lors, les gouvernements turcs s'obstinent à ne pas vouloir reconnaître le génocide arménien. C'est le cas aussi de la presque totalité des citoyens de ce pays. Qu'ils appartiennent à la minorité laïque ou à la majorité islamiste, ils ne veulent rien renier du nationalisme et de l'idéologie raciale de Moustafa Kémal et des Jeunes Turcs.
Les Turcs les plus accommodants attribuent la responsabilité des massacres à un régime disparu, le sultanat, ou aux aléas de la guerre. Ils font aussi valoir que ces massacres ne visaient pas à l'extermination du peuple arménien et en donnent pour preuve que les Arméniens de Jérusalem et du Liban n'ont pas été affectés. Ils relativisent le drame et le comparent par exemple aux méfaits de la guerre d'Algérie. Enfin, la plupart des Turcs considèrent -sans doute à tort- que leur nation s'affaiblirait en reconnaissant la réalité du génocide.
La France et le génocide arménien
De nombreux Arméniens rescapés des massacres de 1915 ont débarqué à Marseille et se sont établis en France. Leurs descendants sont aujourd'hui 300.000 à 500.000.
Dans le dessein de gagner leur vote à l'élection présidentielle de 2002, la droite et la gauche parlementaires ont voté à l'unanimité une loi réduite à un article : «La République française reconnaît le génocide arménien». Il en est résulté une crise avec la Turquie, déjà agacée par l'opposition de la France à son entrée dans l'Union européenne.
En 2006, peu avant l'élection présidentielle suivante, le parti socialiste a fait de la surenchère en tentant de pénaliser la «négation» du génocide. Il y a échoué et son texte a été prestement enterré par le nouveau président, soucieux de restaurer de bonnes relations avec la Turquie.
Mais à l'avant-veille de l'élection présidentielle de 2012, Nicolas Sarkozy lui-même a relancé le projet pour retrouver la faveur des électeurs d'origine arménienne. C'est ainsi que le 22 décembre 2011, une députée UMP a déposé une proposition de loi qui punit d’un an d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende la négation, voire la «minimisation», d'un génocide reconnu par la République française.
Les Turcs ont immédiatement menacé les entreprises françaises de mesures de rétorsion et l'affaire pourrait coûter très cher à la France, déjà victime d'une récession économique. Elle pourrait être contre-productive en Turquie même, où les citoyens de toutes obédiences se sentent peu ou prou atteints dans leur honneur par cette immixtion étrangère.
Cette nouvelle loi mémorielle, plus de vingt ans après la loi Gayssot (1990), témoigne des incohérences entourant la liberté d'expression, alors que, par ailleurs, des artistes et des libéraux réclament la liberté de moquer sans limite toutes les religions. Elle illustre aussi la tentation des dirigeants politiques de détourner l'attention des citoyens de leurs échecs économiques, sociaux et diplomatiques.
Une semaine d'Histoire du 20 Avril 2015 au 26 Avril 2015 avec Herodote.net
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À mon très grand ami Patrice († 58).
À ma petite belle-fille Gaëlle († 31).
Décor "simpliste" sur lequel nous avions rejoué, à 9 joueurs, la Bataille d'Eylau en 1807.
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Re: 24 avril 1915 : Le génocide arménien.
Merci jacques pour ce rappel qui est à la page en ce moment.
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paszim- Modérateur
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Re: 24 avril 1915 : Le génocide arménien.
Salut Pascal.paszim a écrit:Merci jacques pour ce rappel qui est à la page en ce moment.
Ce petit rappel est fait pour que personne n'oublie cela.
Il ne faut pas oublier non plus que ce ne sont pas des Européens et qu'ils n'ont pas à être intégrés à l'Europe.
À plus tard.
Jacques.
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24 avril 1915 : Le génocide arménien.
24 avril 1915 : Le génocide arménien.
Le samedi 24 avril 1915, à Istamboul, capitale de l'empire ottoman, 600 notables arméniens sont assassinés sur ordre du gouvernement. C'est le début d'un génocide, le premier du XXe siècle. Il va faire environ 1,2 million de victimes dans la population arménienne de l'empire turc.
Un empire composite.
Aux premiers siècles de son existence, l'empire ottoman comptait une majorité de chrétiens (Slaves, Grecs, Arméniens, Caucasiens, Assyriens....). Ils jouaient un grand rôle dans le commerce et l'administration, et leur influence s'étendait au Sérail, le palais du sultan. Ces «protégés» (dhimmis en arabe coranique) n'en étaient pas moins soumis à de lourds impôts et avaient l'interdiction de porter les armes.
Les premiers sultans, souvent nés d'une mère chrétienne - esclave du harem de leur père -, témoignaient d'une relative bienveillance à l'égard des Grecs orthodoxes et des Arméniens monophysites.
Ces derniers étaient surtout établis dans l'ancien royaume d'Arménie, au pied du Caucase, premier royaume de l'Histoire à s'être rallié au christianisme ! Ils étaient majoritaires aussi en Cilicie, une province du sud de l'Asie mineure que l'on appelait parfois «Petite Arménie». On en retrouvait aussi à Istamboul ainsi que dans les villes libanaises et à Jérusalem.
L'empire ottoman comptait environ 2 millions d'Arméniens à la fin du XIXe siècle sur une population totale de 36 millions d'habitants.
Ébauche de génocide.
Dans les années qui précèdent la Grande Guerre, la décadence de l'empire ottoman s'accélère après une tentative de modernisation par le haut dans la période du Tanzimat, entre 1839 et 1876. Le sultan Abdul-Hamid II n'hésite pas à attiser sans vergogne les haines religieuses pour consolider son pouvoir (les derniers tsars de Russie font de même dans leur empire).
Entre 1894 et 1896, comme les Arméniens réclament des réformes et une modernisation des institutions, le sultan en fait massacrer 200.000 à 250.000 avec le concours diligent des montagnards kurdes.
Un million d'Arméniens sont dépouillés de leurs biens et quelques milliers convertis de force. Des centaines d'églises sont brûlées ou transformées en mosquées... Rien qu'en juin 1896, dans la région de Van, au coeur de l'Arménie historique, pas moins de 350 villages sont rayés de la carte.
Ces massacres planifiés ont un avant-goût de génocide. L'Américain George Hepworth enquêtant sur les lieux deux ans après les faits, écrit : «Pendant mes déplacements en Arménie, j'ai été de jour en jour plus profondément convaincu que l'avenir des Arméniens est excessivement sombre. Il se peut que la main des Turcs soit retenue dans la crainte de l'Europe mais je suis sûr que leur objectif est l'extermination et qu'ils poursuivront cet objectif jusqu'au bout si l'occasion s'en présente. Ils sont déjà tout près de l'avoir atteint» (*).
Les Occidentaux se contentent de plates protestations mais le crime ne profite guère au sultan. Celui-ci tente de jouer la carte de chef spirituel de tous les musulmans en sa qualité de calife. Il fait construire le chemin de fer du Hedjaz pour faciliter les pèlerinages à La Mecque. Il se rapproche aussi de l'Allemagne de Guillaume II. Mais il est déposé en 1909 par le mouvement nationaliste des «Jeunes-Turcs» qui lui reprochent de livrer l'empire aux appétits étrangers et de montrer trop de complaisance pour les Arabes.
Les «Jeunes-Turcs» veulent se démarquer des «Vieux-Turcs» qui, au début du XIXe siècle, s'opposèrent à la modernisation de l'empire.
Ils installent au pouvoir un Comité Union et Progrès (CUP, en turc Ittihad) dirigé par Enver pacha (27 ans), sous l'égide d'un nouveau sultan, Mohamed V.
Ils donnent au pays une Constitution... ainsi qu'une devise empruntée à la France: «Liberté, Égalité, Fraternité».
Ils laissent espérer un sort meilleur aux minorités de l'empire, sur des bases laïques. Mais leur idéologie emprunte au nationalisme le plus étroit.
Confrontés à un lent démembrement de l'empire multinational et à sa transformation en puissance asiatique (l'empire ne possède plus en Europe que la région d'Istamboul), ils se font les champions du «touranisme». Cette idéologie prône l'union de tous les peuples de langue turque ou assimilée, de la mer Égée aux confins de la Chine (Anatolie, Azerbaïdjan, Kazakhstan, etc) (*).
Dès 1909, soucieux de créer une nation turque racialement homogène, les Jeunes-Turcs multiplient les exactions contre les Arméniens d'Asie mineure. On compte ainsi 20.000 à 30.000 morts à Adana le 1er avril 1909...
Les Jeunes-Turcs lancent des campagnes de boycott des commerces tenus par des Grecs, des Juifs ou des Arméniens. Ils réécrivent l'Histoire en occultant la période ottomane, trop peu turque à leur goût, et en rattachant la race turque aux Mongols de Gengis Khan, aux Huns d'Attila, voire aux Hittites de la haute Antiquité. Ce nationalisme outrancier ne les empêche pas de perdre les deux guerres balkaniques de 1912 et 1913.
La Turquie dans la guerre de 1914-1918.
Le 8 février 1914, la Russie impose au gouvernement turc une commission internationale destinée à veiller aux bonnes relations entre les populations ottomanes. Les Jeunes-Turcs ravalent leur humiliation mais lorsque la Grande Guerre éclate, en août de la même année, ils poussent ils poussent le sultan Mahomet V à entrer dans le conflit, aux côtés des Puissances centrales (Allemagne et Autriche), contre la Russie et les Occidentaux.
Le sultan déclare la guerre le 1er novembre 1914. Les Turcs tentent de soulever en leur faveur les Arméniens de Russie. Mal leur en prend... Bien qu'en nombre supérieur, ils sont défaits par les Russes à Sarikamish le 29 décembre 1914.
L'empire ottoman est envahi. L'armée turque perd 100.000 hommes. Elle bat en retraite et, exaspérée, multiplie les violences à l'égard des Arméniens dans les territoires qu'elle traverse. Les Russes, à leur tour, retournent en leur faveur les Arméniens de Turquie. Le 7 avril 1915, la ville de Van, à l'est de la Turquie, se soulève et proclame un gouvernement arménien autonome.
Dans le même temps, à l'initiative du Lord britannique de l'Amirauté, un certain Winston Churchill, les Français et les Britanniques préparent un débarquement dans le détroit des Dardanelles pour se saisir d'Istamboul.
Le génocide.
Les Jeunes-Turcs profitent de l'occasion pour accomplir leur dessein d'éliminer la totalité des Arméniens de l'Asie mineure, qu'ils considèrent comme le foyer national exclusif du peuple turc. Ils procèdent avec méthode et brutalité.
L'un de leurs chefs, le ministre de l'Intérieur Talaat Pacha, ordonne l'assassinat des Arméniens d'Istamboul puis des Arméniens de l'armée, bien que ces derniers aient fait la preuve de leur loyauté (on a ainsi compté moins de désertions chez les soldats arméniens que chez leurs homologues turcs). C'est ensuite le tour des nombreuses populations arméniennes des sept provinces orientales (les Arméniens des provinces arabophones du Liban et de Jérusalem ne seront jamais inquiétés).
Voici le texte d'un télégramme transmis par le ministre à la direction des Jeunes-Turcs de la préfecture d'Alep : «Le gouvernement a décidé de détruire tous les Arméniens résidant en Turquie. Il faut mettre fin à leur existence, aussi criminelles que soient les mesures à prendre. Il ne faut tenir compte ni de l'âge, ni du sexe. Les scrupules de conscience n'ont pas leur place ici».
Le gouvernement destitue les fonctionnaires locaux qui font preuve de tiédeur, ainsi que le rapporte l'historien britannique Arnold Toynbee, qui enquêta sur place.
Dans un premier temps, les agents du gouvernement rassemblent les hommes de moins de 20 ans et de plus de 45 ans et les éloignent de leur région natale pour leur faire accomplir des travaux épuisants. Beaucoup d'hommes sont aussi tués sur place.
La «Loi provisoire de déportation» du 27 mai 1915 fixe le cadre réglementaire de la déportation des survivants ainsi que de la spoliation des victimes.
Dans les villages qui ont été quelques semaines plus tôt privés de leurs notables et de leurs jeunes gens, militaires et gendarmes ont toute facilité à réunir les femmes et les enfants. Ces malheureux sont réunis en longs convois et déportés vers le sud, vers Alep, une ville de la Syrie ottomane.
Les marches se déroulent sous le soleil de l'été, dans des conditions épouvantables, sans vivres et sans eau, sous la menace constante des montagnards kurdes, trop heureux de pouvoir librement exterminer leurs voisins et rivaux. Elles débouchent en général sur une mort rapide.
Survivent toutefois beaucoup de jeunes femmes ou d'adolescentes (parmi les plus jolies) ; celles-là sont enlevées par les Turcs ou les Kurdes pour être vendues comme esclaves ou converties de force à l'islam et mariées à des familiers (en ce début du XXIe siècle, beaucoup de Turcs sont ainsi troublés de découvrir qu'ils descendent ainsi d'une jeune chrétienne d'Arménie arrachée à sa famille et à sa culture).
En septembre, après les habitants des provinces orientales, vient le tour d'autres Arméniens de l'empire. Ceux-là sont convoyés vers Alep dans des wagons à bestiaux puis transférés dans des camps de concentration en zone désertique où ils ne tardent pas à succomber à leur tour.
Au total disparaissent pendant l'été 1915 les deux tiers de la population arménienne sous souveraineté ottomane.
Les Européens et le génocide.
En Occident, les informations sur le génocide émeuvent l'opinion mais le sultan se justifie en arguant de la nécessité de déplacer les populations pour des raisons militaires !
Le gouvernement allemand, allié de la Turquie, censure les informations sur le génocide. L'Allemagne entretient en Turquie, pendant le conflit, une mission militaire très importante (jusqu'à 12.000 hommes). Et après la guerre, c'est en Allemagne que se réfugient les responsables du génocide, y compris Talaat Pacha.
Ce dernier est assassiné à Berlin le 16 mars 1921 par un jeune Arménien. Mais l'assassin sera acquitté par la justice allemande, preuve si besoin est d'une réelle démocratisation de la vie allemande sous le régime républicain issu de Weimar !
Le traité de Sèvres signé le 10 août 1920 entre les Alliés et l'empire ottoman prévoit la mise en jugement des responsables du génocide. Mais le sursaut nationaliste de Moustafa Kémal bouscule ces bonnes résolutions et entraîne une amnistie générale, le 31 mars 1923.
Les nazis tireront les leçons du premier génocide de l'Histoire et de cette occasion perdue de juger les coupables... «Qui se souvient encore de l'extermination des Arméniens ?» aurait lancé Hitler en 1939, à la veille de massacrer les handicapés de son pays (l'extermination des Juifs viendra deux ans plus tard).
À la vérité, c'est seulement dans les années 1980 que l'opinion publique occidentale a retrouvé le souvenir de ce génocide, à l'investigation de l'Église arménienne et des jeunes militants de la troisième génération, dont certains n'ont pas hésité à recourir à des attentats contre les intérêts turcs.
Les historiens multiplient depuis lors les enquêtes et les témoignages sur ce génocide, le premier du siècle. Le cinéaste français d'origine arménienne Henri Verneuil a évoqué dans un film émouvant, Mayrig, en 1991, l'histoire de sa famille qui a vécu ce drame dans sa chair. On trouvera par ailleurs dans Le siècle des génocides (Bernard Bruneteau, Armand Colin, 2004) une très claire et très complète enquête sur ce génocide (et les autres), avec sources et références à l'appui.
André Larané.
Commentaire : les Turcs et le génocide.
Les «Jeunes Turcs» sont à l'origine du sentiment national turc. Ils ont permis l'émergence d'une grande nation. Mais ils sont aussi responsables de l'extermination de la plus grande partie des chrétiens arméniens d'Asie mineure en 1915.
En 1923, le général Moustafa Kémal a parachevé la «turcisation» de la Turquie en expulsant les Grecs qui y vivaient depuis la haute Antiquité. Istamboul, ville aux deux-tiers chrétienne en 1914, est devenue exclusivement turque et musulmane après cette date. Depuis lors, les gouvernements turcs s'obstinent à ne pas vouloir reconnaître le génocide arménien. C'est le cas aussi de la presque totalité des citoyens de ce pays. Qu'ils appartiennent à la minorité laïque ou à la majorité islamiste, ils ne veulent rien renier du nationalisme et de l'idéologie raciale de Moustafa Kémal et des Jeunes Turcs.
Les Turcs les plus accommodants attribuent la responsabilité des massacres à un régime disparu, le sultanat, ou aux aléas de la guerre. Ils font aussi valoir que ces massacres ne visaient pas à l'extermination du peuple arménien et en donnent pour preuve que les Arméniens de Jérusalem et du Liban n'ont pas été affectés. Ils relativisent le drame et le comparent par exemple aux méfaits de la guerre d'Algérie. Enfin, la plupart des Turcs considèrent -sans doute à tort- que leur nation s'affaiblirait en reconnaissant la réalité du génocide.
La France et le génocide arménien
De nombreux Arméniens rescapés des massacres de 1915 ont débarqué à Marseille et se sont établis en France. Leurs descendants sont aujourd'hui 300.000 à 500.000.
Dans le dessein de gagner leur vote à l'élection présidentielle de 2002, la droite et la gauche parlementaires ont voté à l'unanimité une loi réduite à un article : «La République française reconnaît le génocide arménien». Il en est résulté une crise avec la Turquie, déjà agacée par l'opposition de la France à son entrée dans l'Union européenne.
En 2006, peu avant l'élection présidentielle suivante, le parti socialiste a fait de la surenchère en tentant de pénaliser la «négation» du génocide. Il y a échoué et son texte a été prestement enterré par le nouveau président, soucieux de restaurer de bonnes relations avec la Turquie.
Mais à l'avant-veille de l'élection présidentielle de 2012, Nicolas Sarkozy lui-même a relancé le projet pour retrouver la faveur des électeurs d'origine arménienne. C'est ainsi que le 22 décembre 2011, une députée UMP a déposé une proposition de loi qui punit d’un an d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende la négation, voire la «minimisation», d'un génocide reconnu par la République française.
Les Turcs ont immédiatement menacé les entreprises françaises de mesures de rétorsion et l'affaire pourrait coûter très cher à la France, déjà victime d'une récession économique. Elle pourrait être contre-productive en Turquie même, où les citoyens de toutes obédiences se sentent peu ou prou atteints dans leur honneur par cette immixtion étrangère.
Cette nouvelle loi mémorielle, plus de vingt ans après la loi Gayssot (1990), témoigne des incohérences entourant la liberté d'expression, alors que, par ailleurs, des artistes et des libéraux réclament la liberté de moquer sans limite toutes les religions. Elle illustre aussi la tentation des dirigeants politiques de détourner l'attention des citoyens de leurs échecs économiques, sociaux et diplomatiques.
Une semaine d'Histoire du 23 Avril 2018 au 29 Avril 2018 avec Herodote.net
Le samedi 24 avril 1915, à Istamboul, capitale de l'empire ottoman, 600 notables arméniens sont assassinés sur ordre du gouvernement. C'est le début d'un génocide, le premier du XXe siècle. Il va faire environ 1,2 million de victimes dans la population arménienne de l'empire turc.
Un empire composite.
Aux premiers siècles de son existence, l'empire ottoman comptait une majorité de chrétiens (Slaves, Grecs, Arméniens, Caucasiens, Assyriens....). Ils jouaient un grand rôle dans le commerce et l'administration, et leur influence s'étendait au Sérail, le palais du sultan. Ces «protégés» (dhimmis en arabe coranique) n'en étaient pas moins soumis à de lourds impôts et avaient l'interdiction de porter les armes.
Les premiers sultans, souvent nés d'une mère chrétienne - esclave du harem de leur père -, témoignaient d'une relative bienveillance à l'égard des Grecs orthodoxes et des Arméniens monophysites.
Ces derniers étaient surtout établis dans l'ancien royaume d'Arménie, au pied du Caucase, premier royaume de l'Histoire à s'être rallié au christianisme ! Ils étaient majoritaires aussi en Cilicie, une province du sud de l'Asie mineure que l'on appelait parfois «Petite Arménie». On en retrouvait aussi à Istamboul ainsi que dans les villes libanaises et à Jérusalem.
L'empire ottoman comptait environ 2 millions d'Arméniens à la fin du XIXe siècle sur une population totale de 36 millions d'habitants.
Ébauche de génocide.
Dans les années qui précèdent la Grande Guerre, la décadence de l'empire ottoman s'accélère après une tentative de modernisation par le haut dans la période du Tanzimat, entre 1839 et 1876. Le sultan Abdul-Hamid II n'hésite pas à attiser sans vergogne les haines religieuses pour consolider son pouvoir (les derniers tsars de Russie font de même dans leur empire).
Entre 1894 et 1896, comme les Arméniens réclament des réformes et une modernisation des institutions, le sultan en fait massacrer 200.000 à 250.000 avec le concours diligent des montagnards kurdes.
Un million d'Arméniens sont dépouillés de leurs biens et quelques milliers convertis de force. Des centaines d'églises sont brûlées ou transformées en mosquées... Rien qu'en juin 1896, dans la région de Van, au coeur de l'Arménie historique, pas moins de 350 villages sont rayés de la carte.
Ces massacres planifiés ont un avant-goût de génocide. L'Américain George Hepworth enquêtant sur les lieux deux ans après les faits, écrit : «Pendant mes déplacements en Arménie, j'ai été de jour en jour plus profondément convaincu que l'avenir des Arméniens est excessivement sombre. Il se peut que la main des Turcs soit retenue dans la crainte de l'Europe mais je suis sûr que leur objectif est l'extermination et qu'ils poursuivront cet objectif jusqu'au bout si l'occasion s'en présente. Ils sont déjà tout près de l'avoir atteint» (*).
Les Occidentaux se contentent de plates protestations mais le crime ne profite guère au sultan. Celui-ci tente de jouer la carte de chef spirituel de tous les musulmans en sa qualité de calife. Il fait construire le chemin de fer du Hedjaz pour faciliter les pèlerinages à La Mecque. Il se rapproche aussi de l'Allemagne de Guillaume II. Mais il est déposé en 1909 par le mouvement nationaliste des «Jeunes-Turcs» qui lui reprochent de livrer l'empire aux appétits étrangers et de montrer trop de complaisance pour les Arabes.
Les «Jeunes-Turcs» veulent se démarquer des «Vieux-Turcs» qui, au début du XIXe siècle, s'opposèrent à la modernisation de l'empire.
Ils installent au pouvoir un Comité Union et Progrès (CUP, en turc Ittihad) dirigé par Enver pacha (27 ans), sous l'égide d'un nouveau sultan, Mohamed V.
Ils donnent au pays une Constitution... ainsi qu'une devise empruntée à la France: «Liberté, Égalité, Fraternité».
Ils laissent espérer un sort meilleur aux minorités de l'empire, sur des bases laïques. Mais leur idéologie emprunte au nationalisme le plus étroit.
Confrontés à un lent démembrement de l'empire multinational et à sa transformation en puissance asiatique (l'empire ne possède plus en Europe que la région d'Istamboul), ils se font les champions du «touranisme». Cette idéologie prône l'union de tous les peuples de langue turque ou assimilée, de la mer Égée aux confins de la Chine (Anatolie, Azerbaïdjan, Kazakhstan, etc) (*).
Dès 1909, soucieux de créer une nation turque racialement homogène, les Jeunes-Turcs multiplient les exactions contre les Arméniens d'Asie mineure. On compte ainsi 20.000 à 30.000 morts à Adana le 1er avril 1909...
Les Jeunes-Turcs lancent des campagnes de boycott des commerces tenus par des Grecs, des Juifs ou des Arméniens. Ils réécrivent l'Histoire en occultant la période ottomane, trop peu turque à leur goût, et en rattachant la race turque aux Mongols de Gengis Khan, aux Huns d'Attila, voire aux Hittites de la haute Antiquité. Ce nationalisme outrancier ne les empêche pas de perdre les deux guerres balkaniques de 1912 et 1913.
La Turquie dans la guerre de 1914-1918.
Le 8 février 1914, la Russie impose au gouvernement turc une commission internationale destinée à veiller aux bonnes relations entre les populations ottomanes. Les Jeunes-Turcs ravalent leur humiliation mais lorsque la Grande Guerre éclate, en août de la même année, ils poussent ils poussent le sultan Mahomet V à entrer dans le conflit, aux côtés des Puissances centrales (Allemagne et Autriche), contre la Russie et les Occidentaux.
Le sultan déclare la guerre le 1er novembre 1914. Les Turcs tentent de soulever en leur faveur les Arméniens de Russie. Mal leur en prend... Bien qu'en nombre supérieur, ils sont défaits par les Russes à Sarikamish le 29 décembre 1914.
L'empire ottoman est envahi. L'armée turque perd 100.000 hommes. Elle bat en retraite et, exaspérée, multiplie les violences à l'égard des Arméniens dans les territoires qu'elle traverse. Les Russes, à leur tour, retournent en leur faveur les Arméniens de Turquie. Le 7 avril 1915, la ville de Van, à l'est de la Turquie, se soulève et proclame un gouvernement arménien autonome.
Dans le même temps, à l'initiative du Lord britannique de l'Amirauté, un certain Winston Churchill, les Français et les Britanniques préparent un débarquement dans le détroit des Dardanelles pour se saisir d'Istamboul.
Le génocide.
Les Jeunes-Turcs profitent de l'occasion pour accomplir leur dessein d'éliminer la totalité des Arméniens de l'Asie mineure, qu'ils considèrent comme le foyer national exclusif du peuple turc. Ils procèdent avec méthode et brutalité.
L'un de leurs chefs, le ministre de l'Intérieur Talaat Pacha, ordonne l'assassinat des Arméniens d'Istamboul puis des Arméniens de l'armée, bien que ces derniers aient fait la preuve de leur loyauté (on a ainsi compté moins de désertions chez les soldats arméniens que chez leurs homologues turcs). C'est ensuite le tour des nombreuses populations arméniennes des sept provinces orientales (les Arméniens des provinces arabophones du Liban et de Jérusalem ne seront jamais inquiétés).
Voici le texte d'un télégramme transmis par le ministre à la direction des Jeunes-Turcs de la préfecture d'Alep : «Le gouvernement a décidé de détruire tous les Arméniens résidant en Turquie. Il faut mettre fin à leur existence, aussi criminelles que soient les mesures à prendre. Il ne faut tenir compte ni de l'âge, ni du sexe. Les scrupules de conscience n'ont pas leur place ici».
Le gouvernement destitue les fonctionnaires locaux qui font preuve de tiédeur, ainsi que le rapporte l'historien britannique Arnold Toynbee, qui enquêta sur place.
Dans un premier temps, les agents du gouvernement rassemblent les hommes de moins de 20 ans et de plus de 45 ans et les éloignent de leur région natale pour leur faire accomplir des travaux épuisants. Beaucoup d'hommes sont aussi tués sur place.
La «Loi provisoire de déportation» du 27 mai 1915 fixe le cadre réglementaire de la déportation des survivants ainsi que de la spoliation des victimes.
Dans les villages qui ont été quelques semaines plus tôt privés de leurs notables et de leurs jeunes gens, militaires et gendarmes ont toute facilité à réunir les femmes et les enfants. Ces malheureux sont réunis en longs convois et déportés vers le sud, vers Alep, une ville de la Syrie ottomane.
Les marches se déroulent sous le soleil de l'été, dans des conditions épouvantables, sans vivres et sans eau, sous la menace constante des montagnards kurdes, trop heureux de pouvoir librement exterminer leurs voisins et rivaux. Elles débouchent en général sur une mort rapide.
Survivent toutefois beaucoup de jeunes femmes ou d'adolescentes (parmi les plus jolies) ; celles-là sont enlevées par les Turcs ou les Kurdes pour être vendues comme esclaves ou converties de force à l'islam et mariées à des familiers (en ce début du XXIe siècle, beaucoup de Turcs sont ainsi troublés de découvrir qu'ils descendent ainsi d'une jeune chrétienne d'Arménie arrachée à sa famille et à sa culture).
En septembre, après les habitants des provinces orientales, vient le tour d'autres Arméniens de l'empire. Ceux-là sont convoyés vers Alep dans des wagons à bestiaux puis transférés dans des camps de concentration en zone désertique où ils ne tardent pas à succomber à leur tour.
Au total disparaissent pendant l'été 1915 les deux tiers de la population arménienne sous souveraineté ottomane.
Les Européens et le génocide.
En Occident, les informations sur le génocide émeuvent l'opinion mais le sultan se justifie en arguant de la nécessité de déplacer les populations pour des raisons militaires !
Le gouvernement allemand, allié de la Turquie, censure les informations sur le génocide. L'Allemagne entretient en Turquie, pendant le conflit, une mission militaire très importante (jusqu'à 12.000 hommes). Et après la guerre, c'est en Allemagne que se réfugient les responsables du génocide, y compris Talaat Pacha.
Ce dernier est assassiné à Berlin le 16 mars 1921 par un jeune Arménien. Mais l'assassin sera acquitté par la justice allemande, preuve si besoin est d'une réelle démocratisation de la vie allemande sous le régime républicain issu de Weimar !
Le traité de Sèvres signé le 10 août 1920 entre les Alliés et l'empire ottoman prévoit la mise en jugement des responsables du génocide. Mais le sursaut nationaliste de Moustafa Kémal bouscule ces bonnes résolutions et entraîne une amnistie générale, le 31 mars 1923.
Les nazis tireront les leçons du premier génocide de l'Histoire et de cette occasion perdue de juger les coupables... «Qui se souvient encore de l'extermination des Arméniens ?» aurait lancé Hitler en 1939, à la veille de massacrer les handicapés de son pays (l'extermination des Juifs viendra deux ans plus tard).
À la vérité, c'est seulement dans les années 1980 que l'opinion publique occidentale a retrouvé le souvenir de ce génocide, à l'investigation de l'Église arménienne et des jeunes militants de la troisième génération, dont certains n'ont pas hésité à recourir à des attentats contre les intérêts turcs.
Les historiens multiplient depuis lors les enquêtes et les témoignages sur ce génocide, le premier du siècle. Le cinéaste français d'origine arménienne Henri Verneuil a évoqué dans un film émouvant, Mayrig, en 1991, l'histoire de sa famille qui a vécu ce drame dans sa chair. On trouvera par ailleurs dans Le siècle des génocides (Bernard Bruneteau, Armand Colin, 2004) une très claire et très complète enquête sur ce génocide (et les autres), avec sources et références à l'appui.
André Larané.
Commentaire : les Turcs et le génocide.
Les «Jeunes Turcs» sont à l'origine du sentiment national turc. Ils ont permis l'émergence d'une grande nation. Mais ils sont aussi responsables de l'extermination de la plus grande partie des chrétiens arméniens d'Asie mineure en 1915.
En 1923, le général Moustafa Kémal a parachevé la «turcisation» de la Turquie en expulsant les Grecs qui y vivaient depuis la haute Antiquité. Istamboul, ville aux deux-tiers chrétienne en 1914, est devenue exclusivement turque et musulmane après cette date. Depuis lors, les gouvernements turcs s'obstinent à ne pas vouloir reconnaître le génocide arménien. C'est le cas aussi de la presque totalité des citoyens de ce pays. Qu'ils appartiennent à la minorité laïque ou à la majorité islamiste, ils ne veulent rien renier du nationalisme et de l'idéologie raciale de Moustafa Kémal et des Jeunes Turcs.
Les Turcs les plus accommodants attribuent la responsabilité des massacres à un régime disparu, le sultanat, ou aux aléas de la guerre. Ils font aussi valoir que ces massacres ne visaient pas à l'extermination du peuple arménien et en donnent pour preuve que les Arméniens de Jérusalem et du Liban n'ont pas été affectés. Ils relativisent le drame et le comparent par exemple aux méfaits de la guerre d'Algérie. Enfin, la plupart des Turcs considèrent -sans doute à tort- que leur nation s'affaiblirait en reconnaissant la réalité du génocide.
La France et le génocide arménien
De nombreux Arméniens rescapés des massacres de 1915 ont débarqué à Marseille et se sont établis en France. Leurs descendants sont aujourd'hui 300.000 à 500.000.
Dans le dessein de gagner leur vote à l'élection présidentielle de 2002, la droite et la gauche parlementaires ont voté à l'unanimité une loi réduite à un article : «La République française reconnaît le génocide arménien». Il en est résulté une crise avec la Turquie, déjà agacée par l'opposition de la France à son entrée dans l'Union européenne.
En 2006, peu avant l'élection présidentielle suivante, le parti socialiste a fait de la surenchère en tentant de pénaliser la «négation» du génocide. Il y a échoué et son texte a été prestement enterré par le nouveau président, soucieux de restaurer de bonnes relations avec la Turquie.
Mais à l'avant-veille de l'élection présidentielle de 2012, Nicolas Sarkozy lui-même a relancé le projet pour retrouver la faveur des électeurs d'origine arménienne. C'est ainsi que le 22 décembre 2011, une députée UMP a déposé une proposition de loi qui punit d’un an d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende la négation, voire la «minimisation», d'un génocide reconnu par la République française.
Les Turcs ont immédiatement menacé les entreprises françaises de mesures de rétorsion et l'affaire pourrait coûter très cher à la France, déjà victime d'une récession économique. Elle pourrait être contre-productive en Turquie même, où les citoyens de toutes obédiences se sentent peu ou prou atteints dans leur honneur par cette immixtion étrangère.
Cette nouvelle loi mémorielle, plus de vingt ans après la loi Gayssot (1990), témoigne des incohérences entourant la liberté d'expression, alors que, par ailleurs, des artistes et des libéraux réclament la liberté de moquer sans limite toutes les religions. Elle illustre aussi la tentation des dirigeants politiques de détourner l'attention des citoyens de leurs échecs économiques, sociaux et diplomatiques.
Une semaine d'Histoire du 23 Avril 2018 au 29 Avril 2018 avec Herodote.net
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Re: 24 avril 1915 : Le génocide arménien.
24 avril 1915 : Le génocide arménien.
Le samedi 24 avril 1915, à Constantinople, capitale de l'empire ottoman, 600 notables arméniens sont assassinés sur ordre du gouvernement. C'est le début d'un génocide, le premier du XX° siècle.
Il va faire environ 1,2 million de victimes dans la population arménienne de l'empire turc (ainsi que plusieurs centaines de milliers dans la minorité assyro-chaldéenne).
André Larané
La République turque et le génocide
La République turque, qui a succédé en 1923 à l'empire ottoman, ne nie pas la réalité des déportations et des massacres mais en conteste la responsabilité et surtout rejette le qualificatif de génocide.
Les Turcs les plus accommodants attribuent la responsabilité des massacres à un régime disparu, le sultanat, ou aux aléas de la guerre.
Le gouvernement d'Istamboul, allié de l'Allemagne contre la Russie, la France et l'Angleterre, pouvait en effet craindre une alliance entre les Russes et les Arméniens de l'intérieur, chrétiens comme eux.
Ils font aussi valoir que ces massacres n'étaient pas motivés par une idéologie raciale.
Ils ne visaient pas à l'extermination systématique du peuple arménien.
Ainsi, les Arméniens de Jérusalem et de Syrie, alors possessions ottomanes, n'ont pas été affectés par les massacres.
Beaucoup de jeunes filles ont aussi pu sauver leur vie en se convertissant à l'islam et en épousant un Turc, une « chance » dont n'ont pas bénéficié les Juives victimes des nazis...
Pour les mêmes raisons, certains historiens occidentaux contestent également le qualificatif de génocide.
Jeunes filles arméniennes d'Anatolie en 1910 (Source : Comité de Défense de la Cause Arménienne)
Un empire composite.
Aux premiers siècles de son existence, l'empire ottoman comptait une majorité de chrétiens (Slaves, Grecs, Arméniens, Caucasiens, Assyriens....).
Ils jouaient un grand rôle dans le commerce et l'administration, et leur influence s'étendait au Sérail, le palais du sultan.
Ces «protégés» (dhimmis en arabe coranique) n'en étaient pas moins soumis à de lourds impôts et avaient l'interdiction de porter les armes.
Les premiers sultans, souvent nés d'une mère chrétienne - esclave du harem de leur père -, témoignaient d'une relative bienveillance à l'égard des Grecs orthodoxes et des Arméniens monophysites.
Ces derniers étaient surtout établis dans l'ancien royaume d'Arménie, au pied du Caucase, premier royaume de l'Histoire à s'être rallié au christianisme !
Ils étaient majoritaires aussi en Cilicie, une province du sud de l'Asie mineure que l'on appelait parfois «Petite Arménie», on en retrouvait aussi à Istamboul ainsi que dans les villes libanaises et à Jérusalem.
L'empire ottoman comptait environ 2 millions d'Arméniens à la fin du XIX° siècle sur une population totale de 36 millions d'habitants.
Vidéo : les massacres des Arméniens
 
Réalisée par Jean Eckian, journaliste d'origine arménienne, la vidéo ci-dessus raconte en 14 minutes l'histoire de l'Arménie et du génocide (première diffusion : Radio Monte-Carlo, 1976).
Ébauche de génocide.
Dans les années qui précèdent la Grande Guerre, la décadence de l'empire ottoman s'accélère après une tentative de modernisation par le haut dans la période du Tanzimat, entre 1839 et 1876.
Le sultan Abdul-Hamid II n'hésite pas à attiser sans vergogne les haines religieuses pour consolider son pouvoir (les derniers tsars de Russie font de même dans leur empire).
Entre 1894 et 1896, comme les Arméniens réclament des réformes et une modernisation des institutions, le sultan en fait massacrer 200.000 à 250.000 avec le concours diligent des montagnards kurdes.
Un million d'Arméniens sont dépouillés de leurs biens et quelques milliers convertis de force, des centaines d'églises sont brûlées ou transformées en mosquées...
Rien qu'en juin 1896, dans la région de Van, au coeur de l'Arménie historique, pas moins de 350 villages sont rayés de la carte.
Ces massacres planifiés ont un avant-goût de génocide.
L'Américain George Hepworth enquêtant sur les lieux deux ans après les faits, écrit : «Pendant mes déplacements en Arménie, j'ai été de jour en jour plus profondément convaincu que l'avenir des Arméniens est excessivement sombre.
Il se peut que la main des Turcs soit retenue dans la crainte de l'Europe mais je suis sûr que leur objectif est l'extermination et qu'ils poursuivront cet objectif jusqu'au bout si l'occasion s'en présente, ils sont déjà tout près de l'avoir atteint» (*).
Les Occidentaux se contentent de plates protestations mais le crime ne profite guère au sultan.
Celui-ci tente de jouer la carte de chef spirituel de tous les musulmans en sa qualité de calife, il fait construire le chemin de fer du Hedjaz pour faciliter les pèlerinages à La Mecque.
Il se rapproche aussi de l'Allemagne de Guillaume II, mais il est déposé en 1909 par le mouvement nationaliste des «Jeunes-Turcs» qui lui reprochent de livrer l'empire aux appétits étrangers et de montrer trop de complaisance pour les Arabes.
Les «Jeunes-Turcs» veulent se démarquer des «Vieux-Turcs» qui, au début du XIX° siècle, s'opposèrent à la modernisation de l'empire.
Ils installent au pouvoir un Comité Union et Progrès (CUP, en turc Ittihad) dirigé par Enver pacha (27 ans), sous l'égide d'un nouveau sultan, Mohamed V.
Ils donnent au pays une Constitution... ainsi qu'une devise empruntée à la France: «Liberté, Égalité, Fraternité».
Ils laissent espérer un sort meilleur aux minorités de l'empire, sur des bases laïques. Mais leur idéologie emprunte au nationalisme le plus étroit.
Confrontés à un lent démembrement de l'empire multinational et à sa transformation en puissance asiatique (l'empire ne possède plus en Europe que la région d'Istamboul), ils se font les champions du «touranisme».
Cette idéologie prône l'union de tous les peuples de langue turque ou assimilée, de la mer Égée aux confins de la Chine (Anatolie, Azerbaïdjan, Kazakhstan, etc) (*).
Dès 1909, soucieux de créer une nation turque racialement homogène, les Jeunes-Turcs multiplient les exactions contre les Arméniens d'Asie mineure. On compte ainsi 20.000 à 30.000 morts à Adana le 1er avril 1909...
Les Jeunes-Turcs lancent des campagnes de boycott des commerces tenus par des Grecs, des Juifs ou des Arméniens, ils réécrivent l'Histoire en occultant la période ottomane, trop peu turque à leur goût, et en rattachant la race turque aux Mongols de Gengis Khan, aux Huns d'Attila, voire aux Hittites de la haute Antiquité.
Ce nationalisme outrancier ne les empêche pas de perdre les deux guerres balkaniques de 1912 et 1913.
La Turquie dans la guerre de 1914-1918.
Le 8 février 1914, la Russie impose au gouvernement turc une commission internationale destinée à veiller aux bonnes relations entre les populations ottomanes.
Les Jeunes-Turcs ravalent leur humiliation mais lorsque la Grande Guerre éclate, en août de la même année, ils poussent ils poussent le sultan Mahomet V à entrer dans le conflit, aux côtés des Puissances centrales (Allemagne et Autriche), contre la Russie et les Occidentaux.
Le sultan déclare la guerre le 1er novembre 1914. Les Turcs tentent de soulever en leur faveur les Arméniens de Russie, mal leur en prend, bien qu'en nombre supérieur, ils sont défaits par les Russes à Sarikamish le 29 décembre 1914.
L'empire ottoman est envahi, l'armée turque perd 100.000 hommes, elle bat en retraite et, exaspérée, multiplie les violences à l'égard des Arméniens dans les territoires qu'elle traverse.
Les Russes, à leur tour, retournent en leur faveur les Arméniens de Turquie. Le 7 avril 1915, la ville de Van, à l'est de la Turquie, se soulève et proclame un gouvernement arménien autonome.
Dans le même temps, à l'initiative du Lord britannique de l'Amirauté, un certain Winston Churchill, les Français et les Britanniques préparent un débarquement dans le détroit des Dardanelles pour se saisir d'Istamboul.
Pendaison des notables Arméniens de Constantinople par la police ottomane le 14 avril 1915.
Le génocide.
Les Jeunes-Turcs profitent des troubles pour accomplir leur dessein d'éliminer la totalité des Arméniens et des Assyro-Chaldéens de l'Asie mineure, une région qu'ils considèrent comme le foyer national exclusif du peuple turc. Ils procèdent avec méthode et brutalité.
Le ministre de l'Intérieur Talaat Pacha ordonne l'assassinat des élites arméniennes de la capitale. C'est ensuite le tour des nombreuses populations arméniennes des sept provinces orientales (les Arméniens des provinces arabophones du Liban et de Jérusalem ne seront jamais inquiétés).
Dans un premier temps, les agents du gouvernement rassemblent les hommes de moins de 20 ans et de plus de 45 ans et les éloignent de leur région natale pour leur faire accomplir des travaux épuisants. Beaucoup d'hommes sont aussi tués sur place.
- 1915 : déportations meurtrières
Dans une première étape, l'objectif officiel est de déplacer les Arméniens et autres chrétiens des provinces orientales d'Anatolie vers Alep et des camps installés dans le désert de Syrie. La « Loi provisoire de déportation » du 27 mai 1915 fixe le cadre réglementaire de la déportation des survivants ainsi que de la spoliation des victimes.
Dans les villages qui ont été quelques semaines plus tôt privés de leurs notables et de leurs jeunes gens, militaires et gendarmes ont toute facilité à réunir les femmes et les enfants. Ces malheureux sont réunis en longs convois et déportés vers Deir ez-Zor, sur l'Euphrate, une région désertique de la Syrie ottomane.
Les marches se déroulent sous le soleil de l'été, dans des conditions épouvantables, sans vivres et sans eau, sous la menace constante des montagnards kurdes et tcherkesses. Elles débouchent en général sur une mort rapide.
Déportation de villageois Arméniens par la police ottomane en 1915.
Survivent toutefois une centaine de milliers de jeunes femmes ou d'adolescentes (parmi les plus jolies) ; celles-là sont enlevées par les Turcs ou les Kurdes pour être vendues comme esclaves ou converties de force à l'islam et mariées à des familiers (en ce début du XXIe siècle, beaucoup de Turcs sont troublés de découvrir qu'ils descendent ainsi d'une chrétienne d'Arménie arrachée à sa famille et à sa culture).
En septembre, après les habitants des provinces orientales, vient le tour des Arméniens de Cilicie. Ils sont aussi convoyés vers le désert de Syrie dans des wagons à bestiaux puis transférés dans des camps de concentration en zone désertique où ils ne tardent pas à succomber à leur tour, loin des regards indiscrets.
Au total disparaissent pendant l'été 1915 les deux tiers de la population arménienne sous souveraineté ottomane. Ajoutons à cela la disparition des Assyro-Chaldéens des provinces orientales de Diarbékir, Erzeroum et Bitlis, généralement associés à leurs voisins arméniens dans les déportations et les massacres.
- 1916 : massacres de masse
Dans une ultime phase, le gouvernement turc décide de liquider, de toutes les manières possibles, les 700 000 malheureux qui ont survécu aux marches de la mort et sont parqués dans les camps de Syrie.
Voici le texte d'un télégramme transmis par le ministre à la direction des Jeunes-Turcs de la préfecture d'Alep : « Le gouvernement a décidé de détruire tous les Arméniens résidant en Turquie. Il faut mettre fin à leur existence, aussi criminelles que soient les mesures à prendre. Il ne faut tenir compte ni de l'âge, ni du sexe. Les scrupules de conscience n'ont pas leur place ici ».
Seules vont subsister les communautés arméniennes de Smyrne, d'Istamboul et du Proche-Orient, trop en vue des diplomates occidentaux, ainsi que les communautés assyro-chaldéennes de Mésopotamie, trop éloignées.
Orphelins Arméniens (Photo Armin Wegner).
Les Européens et le génocide.
En Occident, les informations sur le génocide émeuvent l'opinion mais le sultan se justifie en arguant de la nécessité de déplacer les populations pour des raisons militaires !
Le gouvernement allemand, allié de la Turquie, censure les informations sur le génocide. L'Allemagne entretient en Turquie, pendant le conflit, une mission militaire très importante (jusqu'à 12.000 hommes).
Et après la guerre, c'est en Allemagne que se réfugient les responsables du génocide, y compris Talaat Pacha.
Ce dernier est assassiné à Berlin le 16 mars 1921 par un jeune Arménien. Mais l'assassin sera acquitté par la justice allemande, preuve si besoin est d'une réelle démocratisation de la vie allemande sous le régime républicain issu de Weimar !
Le traité de Sèvres signé le 10 août 1920 entre les Alliés et l'empire ottoman prévoit la mise en jugement des responsables du génocide. Mais le sursaut nationaliste de Moustafa Kémal bouscule ces bonnes résolutions et entraîne une amnistie générale, le 31 mars 1923.
Les nazis tireront les leçons du premier génocide de l'Histoire et de cette occasion perdue de juger les coupables... «Qui se souvient encore de l'extermination des Arméniens ?» aurait lancé Hitler en 1939, à la veille de massacrer les handicapés de son pays (l'extermination des Juifs viendra deux ans plus tard).
À la vérité, c'est seulement dans les années 1980 que l'opinion publique occidentale a retrouvé le souvenir de ce génocide, à l'investigation de l'Église arménienne et des jeunes militants de la troisième génération, dont certains n'ont pas hésité à recourir à des attentats contre les intérêts turcs.
Les historiens multiplient depuis lors les enquêtes et les témoignages sur ce génocide, le premier du siècle. Le cinéaste français d'origine arménienne Henri Verneuil a évoqué dans un film émouvant, Mayrig, en 1991, l'histoire de sa famille qui a vécu ce drame dans sa chair.
On trouvera par ailleurs dans Le siècle des génocides (Bernard Bruneteau, Armand Colin, 2004) une très claire et très complète enquête sur ce génocide (et les autres), avec sources et références à l'appui.
André Larané.
Commentaire : les Turcs et le génocide.
Les «Jeunes Turcs» sont à l'origine du sentiment national turc. Ils ont permis l'émergence d'une grande nation. Mais ils sont aussi responsables de l'extermination de la plus grande partie des chrétiens arméniens d'Asie mineure en 1915.
En 1923, le général Moustafa Kémal a parachevé la «turcisation» de la Turquie en expulsant les Grecs qui y vivaient depuis la haute Antiquité.
Istamboul, ville aux deux-tiers chrétienne en 1914, est devenue exclusivement turque et musulmane après cette date.
Depuis lors, les gouvernements turcs s'obstinent à ne pas vouloir reconnaître le génocide arménien, c'est le cas aussi de la presque totalité des citoyens de ce pays.
Qu'ils appartiennent à la minorité laïque ou à la majorité islamiste, ils ne veulent rien renier du nationalisme et de l'idéologie raciale de Moustafa Kémal et des Jeunes Turcs.
Les Turcs les plus accommodants attribuent la responsabilité des massacres à un régime disparu, le sultanat, ou aux aléas de la guerre. Ils font aussi valoir que ces massacres ne visaient pas à l'extermination du peuple arménien et en donnent pour preuve que les Arméniens de Jérusalem et du Liban n'ont pas été affectés.
Ils relativisent le drame et le comparent par exemple aux méfaits de la guerre d'Algérie, enfin, la plupart des Turcs considèrent -sans doute à tort- que leur nation s'affaiblirait en reconnaissant la réalité du génocide.
La France et le génocide arménien
De nombreux Arméniens rescapés des massacres de 1915 ont débarqué à Marseille et se sont établis en France, leurs descendants sont aujourd'hui 300.000 à 500.000.
Dans le dessein de gagner leur vote à l'élection présidentielle de 2002, la droite et la gauche parlementaires ont voté à l'unanimité une loi réduite à un article : «La République française reconnaît le génocide arménien».
Il en est résulté une crise avec la Turquie, déjà agacée par l'opposition de la France à son entrée dans l'Union européenne.
En 2006, peu avant l'élection présidentielle suivante, le parti socialiste a fait de la surenchère en tentant de pénaliser la «négation» du génocide.
Il y a échoué et son texte a été prestement enterré par le nouveau président, soucieux de restaurer de bonnes relations avec la Turquie.
Mais à l'avant-veille de l'élection présidentielle de 2012, Nicolas Sarkozy lui-même a relancé le projet pour retrouver la faveur des électeurs d'origine arménienne.
C'est ainsi que le 22 décembre 2011, une députée UMP a déposé une proposition de loi qui punit d’un an d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende la négation, voire la «minimisation», d'un génocide reconnu par la République française.
Les Turcs ont immédiatement menacé les entreprises françaises de mesures de rétorsion et l'affaire pourrait coûter très cher à la France, déjà victime d'une récession économique.
Elle pourrait être contre-productive en Turquie même, où les citoyens de toutes obédiences se sentent peu ou prou atteints dans leur honneur par cette immixtion étrangère.
Cette nouvelle loi mémorielle, plus de vingt ans après la loi Gayssot (1990), témoigne des incohérences entourant la liberté d'expression, alors que, par ailleurs, des artistes et des libéraux réclament la liberté de moquer sans limite toutes les religions.
Elle illustre aussi la tentation des dirigeants politiques de détourner l'attention des citoyens de leurs échecs économiques, sociaux et diplomatiques.
Une semaine d'Histoire du 20 Avril 2020 au 26 Avril 2020 avec Herodote.net
Le samedi 24 avril 1915, à Constantinople, capitale de l'empire ottoman, 600 notables arméniens sont assassinés sur ordre du gouvernement. C'est le début d'un génocide, le premier du XX° siècle.
Il va faire environ 1,2 million de victimes dans la population arménienne de l'empire turc (ainsi que plusieurs centaines de milliers dans la minorité assyro-chaldéenne).
André Larané
La République turque et le génocide
La République turque, qui a succédé en 1923 à l'empire ottoman, ne nie pas la réalité des déportations et des massacres mais en conteste la responsabilité et surtout rejette le qualificatif de génocide.
Les Turcs les plus accommodants attribuent la responsabilité des massacres à un régime disparu, le sultanat, ou aux aléas de la guerre.
Le gouvernement d'Istamboul, allié de l'Allemagne contre la Russie, la France et l'Angleterre, pouvait en effet craindre une alliance entre les Russes et les Arméniens de l'intérieur, chrétiens comme eux.
Ils font aussi valoir que ces massacres n'étaient pas motivés par une idéologie raciale.
Ils ne visaient pas à l'extermination systématique du peuple arménien.
Ainsi, les Arméniens de Jérusalem et de Syrie, alors possessions ottomanes, n'ont pas été affectés par les massacres.
Beaucoup de jeunes filles ont aussi pu sauver leur vie en se convertissant à l'islam et en épousant un Turc, une « chance » dont n'ont pas bénéficié les Juives victimes des nazis...
Pour les mêmes raisons, certains historiens occidentaux contestent également le qualificatif de génocide.
Jeunes filles arméniennes d'Anatolie en 1910 (Source : Comité de Défense de la Cause Arménienne)
Un empire composite.
Aux premiers siècles de son existence, l'empire ottoman comptait une majorité de chrétiens (Slaves, Grecs, Arméniens, Caucasiens, Assyriens....).
Ils jouaient un grand rôle dans le commerce et l'administration, et leur influence s'étendait au Sérail, le palais du sultan.
Ces «protégés» (dhimmis en arabe coranique) n'en étaient pas moins soumis à de lourds impôts et avaient l'interdiction de porter les armes.
Les premiers sultans, souvent nés d'une mère chrétienne - esclave du harem de leur père -, témoignaient d'une relative bienveillance à l'égard des Grecs orthodoxes et des Arméniens monophysites.
Ces derniers étaient surtout établis dans l'ancien royaume d'Arménie, au pied du Caucase, premier royaume de l'Histoire à s'être rallié au christianisme !
Ils étaient majoritaires aussi en Cilicie, une province du sud de l'Asie mineure que l'on appelait parfois «Petite Arménie», on en retrouvait aussi à Istamboul ainsi que dans les villes libanaises et à Jérusalem.
L'empire ottoman comptait environ 2 millions d'Arméniens à la fin du XIX° siècle sur une population totale de 36 millions d'habitants.
Vidéo : les massacres des Arméniens
 
Réalisée par Jean Eckian, journaliste d'origine arménienne, la vidéo ci-dessus raconte en 14 minutes l'histoire de l'Arménie et du génocide (première diffusion : Radio Monte-Carlo, 1976).
Ébauche de génocide.
Dans les années qui précèdent la Grande Guerre, la décadence de l'empire ottoman s'accélère après une tentative de modernisation par le haut dans la période du Tanzimat, entre 1839 et 1876.
Le sultan Abdul-Hamid II n'hésite pas à attiser sans vergogne les haines religieuses pour consolider son pouvoir (les derniers tsars de Russie font de même dans leur empire).
Entre 1894 et 1896, comme les Arméniens réclament des réformes et une modernisation des institutions, le sultan en fait massacrer 200.000 à 250.000 avec le concours diligent des montagnards kurdes.
Un million d'Arméniens sont dépouillés de leurs biens et quelques milliers convertis de force, des centaines d'églises sont brûlées ou transformées en mosquées...
Rien qu'en juin 1896, dans la région de Van, au coeur de l'Arménie historique, pas moins de 350 villages sont rayés de la carte.
Ces massacres planifiés ont un avant-goût de génocide.
L'Américain George Hepworth enquêtant sur les lieux deux ans après les faits, écrit : «Pendant mes déplacements en Arménie, j'ai été de jour en jour plus profondément convaincu que l'avenir des Arméniens est excessivement sombre.
Il se peut que la main des Turcs soit retenue dans la crainte de l'Europe mais je suis sûr que leur objectif est l'extermination et qu'ils poursuivront cet objectif jusqu'au bout si l'occasion s'en présente, ils sont déjà tout près de l'avoir atteint» (*).
Les Occidentaux se contentent de plates protestations mais le crime ne profite guère au sultan.
Celui-ci tente de jouer la carte de chef spirituel de tous les musulmans en sa qualité de calife, il fait construire le chemin de fer du Hedjaz pour faciliter les pèlerinages à La Mecque.
Il se rapproche aussi de l'Allemagne de Guillaume II, mais il est déposé en 1909 par le mouvement nationaliste des «Jeunes-Turcs» qui lui reprochent de livrer l'empire aux appétits étrangers et de montrer trop de complaisance pour les Arabes.
Les «Jeunes-Turcs» veulent se démarquer des «Vieux-Turcs» qui, au début du XIX° siècle, s'opposèrent à la modernisation de l'empire.
Ils installent au pouvoir un Comité Union et Progrès (CUP, en turc Ittihad) dirigé par Enver pacha (27 ans), sous l'égide d'un nouveau sultan, Mohamed V.
Ils donnent au pays une Constitution... ainsi qu'une devise empruntée à la France: «Liberté, Égalité, Fraternité».
Ils laissent espérer un sort meilleur aux minorités de l'empire, sur des bases laïques. Mais leur idéologie emprunte au nationalisme le plus étroit.
Confrontés à un lent démembrement de l'empire multinational et à sa transformation en puissance asiatique (l'empire ne possède plus en Europe que la région d'Istamboul), ils se font les champions du «touranisme».
Cette idéologie prône l'union de tous les peuples de langue turque ou assimilée, de la mer Égée aux confins de la Chine (Anatolie, Azerbaïdjan, Kazakhstan, etc) (*).
Dès 1909, soucieux de créer une nation turque racialement homogène, les Jeunes-Turcs multiplient les exactions contre les Arméniens d'Asie mineure. On compte ainsi 20.000 à 30.000 morts à Adana le 1er avril 1909...
Les Jeunes-Turcs lancent des campagnes de boycott des commerces tenus par des Grecs, des Juifs ou des Arméniens, ils réécrivent l'Histoire en occultant la période ottomane, trop peu turque à leur goût, et en rattachant la race turque aux Mongols de Gengis Khan, aux Huns d'Attila, voire aux Hittites de la haute Antiquité.
Ce nationalisme outrancier ne les empêche pas de perdre les deux guerres balkaniques de 1912 et 1913.
La Turquie dans la guerre de 1914-1918.
Le 8 février 1914, la Russie impose au gouvernement turc une commission internationale destinée à veiller aux bonnes relations entre les populations ottomanes.
Les Jeunes-Turcs ravalent leur humiliation mais lorsque la Grande Guerre éclate, en août de la même année, ils poussent ils poussent le sultan Mahomet V à entrer dans le conflit, aux côtés des Puissances centrales (Allemagne et Autriche), contre la Russie et les Occidentaux.
Le sultan déclare la guerre le 1er novembre 1914. Les Turcs tentent de soulever en leur faveur les Arméniens de Russie, mal leur en prend, bien qu'en nombre supérieur, ils sont défaits par les Russes à Sarikamish le 29 décembre 1914.
L'empire ottoman est envahi, l'armée turque perd 100.000 hommes, elle bat en retraite et, exaspérée, multiplie les violences à l'égard des Arméniens dans les territoires qu'elle traverse.
Les Russes, à leur tour, retournent en leur faveur les Arméniens de Turquie. Le 7 avril 1915, la ville de Van, à l'est de la Turquie, se soulève et proclame un gouvernement arménien autonome.
Dans le même temps, à l'initiative du Lord britannique de l'Amirauté, un certain Winston Churchill, les Français et les Britanniques préparent un débarquement dans le détroit des Dardanelles pour se saisir d'Istamboul.
Pendaison des notables Arméniens de Constantinople par la police ottomane le 14 avril 1915.
Le génocide.
Les Jeunes-Turcs profitent des troubles pour accomplir leur dessein d'éliminer la totalité des Arméniens et des Assyro-Chaldéens de l'Asie mineure, une région qu'ils considèrent comme le foyer national exclusif du peuple turc. Ils procèdent avec méthode et brutalité.
Le ministre de l'Intérieur Talaat Pacha ordonne l'assassinat des élites arméniennes de la capitale. C'est ensuite le tour des nombreuses populations arméniennes des sept provinces orientales (les Arméniens des provinces arabophones du Liban et de Jérusalem ne seront jamais inquiétés).
Dans un premier temps, les agents du gouvernement rassemblent les hommes de moins de 20 ans et de plus de 45 ans et les éloignent de leur région natale pour leur faire accomplir des travaux épuisants. Beaucoup d'hommes sont aussi tués sur place.
- 1915 : déportations meurtrières
Dans une première étape, l'objectif officiel est de déplacer les Arméniens et autres chrétiens des provinces orientales d'Anatolie vers Alep et des camps installés dans le désert de Syrie. La « Loi provisoire de déportation » du 27 mai 1915 fixe le cadre réglementaire de la déportation des survivants ainsi que de la spoliation des victimes.
Dans les villages qui ont été quelques semaines plus tôt privés de leurs notables et de leurs jeunes gens, militaires et gendarmes ont toute facilité à réunir les femmes et les enfants. Ces malheureux sont réunis en longs convois et déportés vers Deir ez-Zor, sur l'Euphrate, une région désertique de la Syrie ottomane.
Les marches se déroulent sous le soleil de l'été, dans des conditions épouvantables, sans vivres et sans eau, sous la menace constante des montagnards kurdes et tcherkesses. Elles débouchent en général sur une mort rapide.
Déportation de villageois Arméniens par la police ottomane en 1915.
Survivent toutefois une centaine de milliers de jeunes femmes ou d'adolescentes (parmi les plus jolies) ; celles-là sont enlevées par les Turcs ou les Kurdes pour être vendues comme esclaves ou converties de force à l'islam et mariées à des familiers (en ce début du XXIe siècle, beaucoup de Turcs sont troublés de découvrir qu'ils descendent ainsi d'une chrétienne d'Arménie arrachée à sa famille et à sa culture).
En septembre, après les habitants des provinces orientales, vient le tour des Arméniens de Cilicie. Ils sont aussi convoyés vers le désert de Syrie dans des wagons à bestiaux puis transférés dans des camps de concentration en zone désertique où ils ne tardent pas à succomber à leur tour, loin des regards indiscrets.
Au total disparaissent pendant l'été 1915 les deux tiers de la population arménienne sous souveraineté ottomane. Ajoutons à cela la disparition des Assyro-Chaldéens des provinces orientales de Diarbékir, Erzeroum et Bitlis, généralement associés à leurs voisins arméniens dans les déportations et les massacres.
- 1916 : massacres de masse
Dans une ultime phase, le gouvernement turc décide de liquider, de toutes les manières possibles, les 700 000 malheureux qui ont survécu aux marches de la mort et sont parqués dans les camps de Syrie.
Voici le texte d'un télégramme transmis par le ministre à la direction des Jeunes-Turcs de la préfecture d'Alep : « Le gouvernement a décidé de détruire tous les Arméniens résidant en Turquie. Il faut mettre fin à leur existence, aussi criminelles que soient les mesures à prendre. Il ne faut tenir compte ni de l'âge, ni du sexe. Les scrupules de conscience n'ont pas leur place ici ».
Seules vont subsister les communautés arméniennes de Smyrne, d'Istamboul et du Proche-Orient, trop en vue des diplomates occidentaux, ainsi que les communautés assyro-chaldéennes de Mésopotamie, trop éloignées.
Orphelins Arméniens (Photo Armin Wegner).
Les Européens et le génocide.
En Occident, les informations sur le génocide émeuvent l'opinion mais le sultan se justifie en arguant de la nécessité de déplacer les populations pour des raisons militaires !
Le gouvernement allemand, allié de la Turquie, censure les informations sur le génocide. L'Allemagne entretient en Turquie, pendant le conflit, une mission militaire très importante (jusqu'à 12.000 hommes).
Et après la guerre, c'est en Allemagne que se réfugient les responsables du génocide, y compris Talaat Pacha.
Ce dernier est assassiné à Berlin le 16 mars 1921 par un jeune Arménien. Mais l'assassin sera acquitté par la justice allemande, preuve si besoin est d'une réelle démocratisation de la vie allemande sous le régime républicain issu de Weimar !
Le traité de Sèvres signé le 10 août 1920 entre les Alliés et l'empire ottoman prévoit la mise en jugement des responsables du génocide. Mais le sursaut nationaliste de Moustafa Kémal bouscule ces bonnes résolutions et entraîne une amnistie générale, le 31 mars 1923.
Les nazis tireront les leçons du premier génocide de l'Histoire et de cette occasion perdue de juger les coupables... «Qui se souvient encore de l'extermination des Arméniens ?» aurait lancé Hitler en 1939, à la veille de massacrer les handicapés de son pays (l'extermination des Juifs viendra deux ans plus tard).
À la vérité, c'est seulement dans les années 1980 que l'opinion publique occidentale a retrouvé le souvenir de ce génocide, à l'investigation de l'Église arménienne et des jeunes militants de la troisième génération, dont certains n'ont pas hésité à recourir à des attentats contre les intérêts turcs.
Les historiens multiplient depuis lors les enquêtes et les témoignages sur ce génocide, le premier du siècle. Le cinéaste français d'origine arménienne Henri Verneuil a évoqué dans un film émouvant, Mayrig, en 1991, l'histoire de sa famille qui a vécu ce drame dans sa chair.
On trouvera par ailleurs dans Le siècle des génocides (Bernard Bruneteau, Armand Colin, 2004) une très claire et très complète enquête sur ce génocide (et les autres), avec sources et références à l'appui.
André Larané.
Commentaire : les Turcs et le génocide.
Les «Jeunes Turcs» sont à l'origine du sentiment national turc. Ils ont permis l'émergence d'une grande nation. Mais ils sont aussi responsables de l'extermination de la plus grande partie des chrétiens arméniens d'Asie mineure en 1915.
En 1923, le général Moustafa Kémal a parachevé la «turcisation» de la Turquie en expulsant les Grecs qui y vivaient depuis la haute Antiquité.
Istamboul, ville aux deux-tiers chrétienne en 1914, est devenue exclusivement turque et musulmane après cette date.
Depuis lors, les gouvernements turcs s'obstinent à ne pas vouloir reconnaître le génocide arménien, c'est le cas aussi de la presque totalité des citoyens de ce pays.
Qu'ils appartiennent à la minorité laïque ou à la majorité islamiste, ils ne veulent rien renier du nationalisme et de l'idéologie raciale de Moustafa Kémal et des Jeunes Turcs.
Les Turcs les plus accommodants attribuent la responsabilité des massacres à un régime disparu, le sultanat, ou aux aléas de la guerre. Ils font aussi valoir que ces massacres ne visaient pas à l'extermination du peuple arménien et en donnent pour preuve que les Arméniens de Jérusalem et du Liban n'ont pas été affectés.
Ils relativisent le drame et le comparent par exemple aux méfaits de la guerre d'Algérie, enfin, la plupart des Turcs considèrent -sans doute à tort- que leur nation s'affaiblirait en reconnaissant la réalité du génocide.
La France et le génocide arménien
De nombreux Arméniens rescapés des massacres de 1915 ont débarqué à Marseille et se sont établis en France, leurs descendants sont aujourd'hui 300.000 à 500.000.
Dans le dessein de gagner leur vote à l'élection présidentielle de 2002, la droite et la gauche parlementaires ont voté à l'unanimité une loi réduite à un article : «La République française reconnaît le génocide arménien».
Il en est résulté une crise avec la Turquie, déjà agacée par l'opposition de la France à son entrée dans l'Union européenne.
En 2006, peu avant l'élection présidentielle suivante, le parti socialiste a fait de la surenchère en tentant de pénaliser la «négation» du génocide.
Il y a échoué et son texte a été prestement enterré par le nouveau président, soucieux de restaurer de bonnes relations avec la Turquie.
Mais à l'avant-veille de l'élection présidentielle de 2012, Nicolas Sarkozy lui-même a relancé le projet pour retrouver la faveur des électeurs d'origine arménienne.
C'est ainsi que le 22 décembre 2011, une députée UMP a déposé une proposition de loi qui punit d’un an d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende la négation, voire la «minimisation», d'un génocide reconnu par la République française.
Les Turcs ont immédiatement menacé les entreprises françaises de mesures de rétorsion et l'affaire pourrait coûter très cher à la France, déjà victime d'une récession économique.
Elle pourrait être contre-productive en Turquie même, où les citoyens de toutes obédiences se sentent peu ou prou atteints dans leur honneur par cette immixtion étrangère.
Cette nouvelle loi mémorielle, plus de vingt ans après la loi Gayssot (1990), témoigne des incohérences entourant la liberté d'expression, alors que, par ailleurs, des artistes et des libéraux réclament la liberté de moquer sans limite toutes les religions.
Elle illustre aussi la tentation des dirigeants politiques de détourner l'attention des citoyens de leurs échecs économiques, sociaux et diplomatiques.
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